CD DG 0289 4795945 8. Distr. Universal.
A raison d'un par an, DG enregistre les opéras de Mozart donnés en version de concert à Baden-Baden par des distributions de prestige réunies autour du chef Yannick Nézet-Séguin, hypertalentueux successeur de James Levine à la direction du Met. Sur le papier, ces Noces ont tout pour frapper un grand coup. D'où vient que l'on ne peut réprimer une légère mais réelle déception ? S'agit-il des faiblesses individuelles de certaines têtes d'affiche, à l'exemple de Thomas Hampson dont la voix et le souffle, instables et élimés, ne peuvent dissimuler le poids des ans ? Ou du fait que la Suzanne charmante de Christiane Karg se heurte, comme tous les sopranos légers, à une écriture plus grave qu'on le croit ? Non, cela ne suffit pas : Hampson reste un professionnel de grande présence et noblesse, Karg est une vraie musicienne, et plusieurs de nos versions préférées sont entachées de scories autrement dérangeantes.
Non, c'est autre chose. Nos réserves sont précisément dues au fait que nous avons là une réunion d'individualités et non une équipe. Autrement dit, exactement le contraire de L'Enlèvement au sérail sorti au même moment sous la baguette de Jérémie Rhorer (lire ici). Or l'opéra mozartien en général, et Les Noces en particulier, c'est le triomphe de la troupe. Théâtralement, car les constellations de personnages sont dans une interaction constante, et musicalement car les ensembles sont plus nombreux que les airs et reposent en permanence sur la cohésion. Dans cette version, on peut admirer isolément la Comtesse crémeuse et langoureuse de Sonia Yoncheva, le Chérubin vibrionnant d'Angela Brower, le Figaro toujours irréprochable de Luca Pisaroni, mais la sauce ne prend pas : chacun chante sa propre partition. Même le luxe consistant à distribuer les seconds rôles à d'anciennes stars, à l'image de la Marcelline d'Anne-Sofie von Otter ou du Basile de Rolando Villazón, plus exotique que jamais, tombe plutôt à plat.
Un homme aurait pu transformer cette pluie d'étoiles en collectif : le chef. Or Yannick Nézet-Séguin, malgré des tempi plutôt allants et un Chamber Orchestra of Europe virtuose et transparent, s'en tient à une lecture sans imagination. Classique jusqu'à être démodé, son Mozart du « ni-ni » ne prend pas parti entre le style « historiquement informé » et le symphonisme d'autrefois. C'est un peu comme si rien n'avait changé depuis Neville Marriner. Gageons que ce chef brillantissime et qui apprend vite perfectionnera son Mozart : il ne serait pas le premier (demandez un peu à Abbado !) à qui ce diable d'Amadeus ne livre pas du premier coup ses secrets.
C.M.