Vladimir Galousine (Alexei), Tatiana Pavlovskaya (Polina), Larissa Diadkova (Baboulenka), Sergei Aleksashkin (le Général), Nadezhda Serdyuk (Blanche), Nikolaï Gassiev (le Marquis). Ch. et Orchestre du Théâtre Mariinsky, dir. Valery Gergiev, mise en scène : Temur Chkheidze (Saint-Pétersbourg 2010).
DVD Mariinsky MARO536. Distr. Harmonia Mundi.
Opéra ou film ? Prokofiev a composé Le Joueur en six tableaux cinématographiques, avec un orchestre-caméra qui passe d'un close-up à un plan d'ensemble, s'attarde sur un personnage, effectue un travelling, rétrécit ou élargit le cadre, et souvent n'est qu'un véritable orchestre de cinéma, trame musicale continue où les chanteurs viennent poser leur dialogue. De cette tentation cinématographique Grzegorz Jarzyna à Lyon et Dmitri Tcherniakov à Berlin avaient tiré toutes les conséquences : transposition dans un univers moderniste, caractères quasi psychotiques, éclairages froids - leurs spectacles se voyaient littéralement comme des films. Temur Chkheidze préfère jouer le jeu du roman et s'en tenir à l'époque de Dostoïevski, costumes compris : le spectacle se déroule dans un décor unique, avec trois accessoires - un lit, deux bancs, quatre chaises, le croupier mimant la roulette pour la scène du casino, idée ingénieuse qui fait son effet -, et passionne d'abord grâce à une régie qui mise tout sur la direction d'acteur même si Chkheidze ne la millimètre pas comme le fit Tchernianov, qui pensait visiblement plus aux caméras de la captation vidéo qu'aux spectateurs. Revenant à l'ambiance première du roman de Dostoïevski, Chkheidze prend le temps de construire ses personnages, de les exposer dans toute leur complexité, les tirant de la caricature où ils peuvent parfois sombrer.
On s'en doute, Vladimir Galousine trouve en Alexei un emploi taillé à sa mesure, qu'il a déjà illustré au disque également pour Gergiev (Philips), entre ironie et folie, assumé avec une présence ravageuse. L'acteur est transcendant, le chanteur pas moins, avec dans la voix cette folie tatare qu'Alexei exalte volontiers. On préférera le voir plutôt que seulement l'entendre d'autant qu'il est ici mieux entouré : la Polina inflexible de Tatiana Pavlovskaya, modèle de froideur blonde devant laquelle Alexei se détruit peu à peu, la Baboulenka de Larissa Diadkova, suprêmement bien chantée et composant finement un grand numéro d'actrice, le Général idéalement falot de Sergei Aleksashkin, la Blanche méprisante de Nadezhda Serdyuk font un théâtre grinçant que Gergiev accompagne d'un geste preste, rappelant la violence sans remède qu'y déployait jadis Guennadi Rojdestvensky.