CD Linn Records CKD 451. Notice en anglais. Distr. Outhere.
Des trois opéras de Monteverdi conservés, Le Retour d'Ulysse dans sa patrie (1640) n'est pas le plus populaire et il est rare que l'on débute un parcours montéverdien avec ce titre : tel est pourtant le choix fait par Pearlman qui, il est vrai, ne peut être accusé de courir les lieux communs (nous ne savons pas si Le Couronnement de Poppée et Orfeo sont d'ores et déjà envisagés). Si la partition d'Orfeo fut luxueusement imprimée dès l'origine, celles d'Ulysse et de Poppée nous sont parvenues de façon lacunaire : outre qu'il y manque quelques scènes (peut-être pas mises en musique), elles nécessitent d'être interprétées puisque l'instrumentation n'y est pas précisée. Pearlman a donc dû élaborer sa propre version, qui tient un peu le milieu entre les versions richement « orchestrées » (telles la seconde d'Harnoncourt, celles de Jacobs ou de Garrido, sans parler de la réfection de Leppard) et les versions « jansénistes », limitant au maximum l'intervention d'instruments mélodiques (Curtis). Le résultat apparaît des plus probants, grâce à un continuo humble, réactif, ductile, coloré mais pas écrasant qui, de façon insensible, s'étoffe parfois de cordes, voire de cornets (les dieux, bien sûr) et de flûtes. Le Boston Baroque compte en tout, ici, vingt-quatre instrumentistes (Monteverdi n'en avait sans doute pas autant à Venise), dont peu interviennent ensemble : la façon dont le long et sublime monologue de Pénélope, à l'acte I, soutenu par le clavecin (excellent Pearlman lui-même) et le théorbe, s'ombre parfois des interventions de l'orgue et des cordes est un modèle, de même que la parure offerte aux radieux duos des serviteurs. Ce qui est le plus remarquable, c'est l'élégante souplesse avec laquelle coule le recitar cantando, finement ornementé, jamais contraint par des intentions expressives trop voyantes : pas de « volontarisme », mais une vraie compréhension de la sprezzatura - qui s'impose au détriment des contrastes, des silences (pourquoi en avoir si peur ?), des grands gestes, du plus violent pathos (comme souvent, ce sont les scènes des prétendants qui en souffrent). En somme, une version très « ligne claire » - en harmonie avec la prise de son, aérée, et une distribution alerte et éloquente mais de petit format. Si quelques voix se détachent (la Melanto pulpeuse d'Abigail Nims, le Neptune profond de Joao Fernandes, l'émouvant Télémaque d'Aaron Sheehan), si d'autres déçoivent légèrement (une Minerve un peu grinçante, des Iro, Eumete et Anfinomo trop légers), la plupart sont à l'unisson du couple principal (Fernando Guimaraes/Jennifer Rivera), profondément humain, avec ses tessitures centrales et ses couleurs mordorées. On peut certes imaginer lecture plus théâtrale (il faut alors préférer Harnoncourt II ou Jacobs) mais Monteverdi a rarement sonné avec une telle « évidence ».
O.R.