Collegium Iuvenium KnabenchorStuttgart, Mädchenkantorei St. Eberhard, Andreas Jungwirth (récitant), Orchestre, dir. Friedemann Keck (1999).

CD EDA 15. Distr. DistrArt Musique.

On le sait, Brundibar est une fleur qui a poussé sur le fumier de l'horreur : la graine en fut plantée par Hans Krása en 1938 pour un concours qui resta sans suite. Mais elle germa une première fois en 1942 à l'orphelinat juif de Prague, et refleurit une saison plus tard dès le début du séjour du compositeur (et de la majorité des enfants de la création) au camp de Theresienstadt. Elle y fut jouée une cinquantaine de fois, avant que la « solution finale » n'en emporte les derniers survivants comme l'auteur en 1944, après que les nazis avaient poussé l'abomination jusqu'à la faire jouer lors d'une visite de la Croix-Rouge et la filmer au titre de la propagande, comme témoin de la vie heureuse dans les camps - détournant ainsi sans vergogne un symbole d'espoir et de lutte s'il en fut !

Car ces trente minutes content la lutte victorieuse des petits Anika et Pepicek cherchant à trouver du lait pour leur mère malade, malgré les obstacles que le méchant joueur d'accordéon Brundibar (qu'on n'hésite plus aujourd'hui à affubler d'une moustache significative) met sur leur chemin. Opéra pour enfants, certes, sans prétention exceptionnelle. Reste que malgré tout, on peut difficilement ne pas être étreint par le contexte. Partition doucereuse, pleine de charme et de vie, où la tristesse n'est que de l'instant, et la joie, la règle : l'orchestration est pimpante pour la douzaine d'instrumentistes et la quinzaine d'instruments que Krasa avait pu trouver dans le camp, où les enfants-interprètes trouvaient au chant cet espoir qui les faisait survivre - pour mieux le voir trompé au final de leur existence.

Un espoir évoqué dans le CD de complément qui, au lieu d'autres œuvres de Krása ou de contemporains (comme c'est parfois le cas dans la dizaine d'enregistrements existants), propose un programme de radio évoquant, à travers des témoins survivants, la réalité. Poignant, mais réservé aux seuls germanophones. L'universalité du message de l'œuvre permet qu'on puisse désormais l'entendre chantée dans une autre langue que le tchèque original, et le fait qu'ici ce soit l'allemand lui donne plus encore de sens. Comme pour toute version, les voix d'enfants ne sont pas parfaites, mais cela ajoute à la vérité de l'ouvrage, à sa candeur, à son vertige. L'ensemble est donc excellent, et excellemment dirigé par Friedemann Keck. Comme presque toujours hélas, on ne trouvera pas de livret inclus ; on le cherchera en version française chez Gallimard Jeunesse, avec une excellente interprétation captée à l'Opéra Bastille en 1997, ou dans la version Karas de 1992 (Channel Classics).

P.F.