CD Ediciones Singulares ES1024 / Palazzetto Bru Zane, vol. 11 (série « opéra français »). Distr. Outhere.
D'une main de fer, Richelieu brise la conspiration de Cinq-Mars, dont il brise aussi l'amour en contraignant Marie de Gonzague à épouser le roi de Pologne. Beau sujet de roman historique, qui n'échappa pas à Vigny, de grand opéra également. Sur un livret de Paul Poirson et Louis Gallet, la partition de Gounod fut pourtant créée à l'Opéra-Comique en avril 1877, avec mélodrames et dialogues parlés. Sept mois plus tard, ils devenaient récitatifs, dans une version à la fois amputée et augmentée. Si l'on reconnaît évidemment le compositeur de Faust, Mireille ou Roméo et Juliette, inimitable pour l'effusion intimiste, les grands ensembles comme ceux de la conjuration ne manquent pas de souffle, bien que Gounod n'ait pas, comme Meyerbeer ou Verdi, le sens de la grande fresque. Les délicatesses de la Carte du Tendre s'insèrent aussi dans les filets de la ténébreuse intrigue tissés par le redoutable Père Joseph : c'est le Divertissement néoclassique donné chez Marion Delorme, d'une grande subtilité de touche. Certes on ne tient pas ici un chef-d'œuvre digne de figurer à côté des opéras qui ont fait la célébrité de Gounod, mais ce Cinq-Mars méritait tout à fait d'être ressuscité.
Remercions donc le Palazzetto Bru Zane / Centre de musique romantique française de nous avoir révélé un opéra que Paris avait ignoré depuis la reprise de 1878. On l'avait entendu à Versailles, en janvier 2015. Quatre jours avant, il était enregistré à Munich par les mêmes interprètes, à l'exception de Matthias Vidal, qui remplaçait Charles Castronovo. Voix un peu blanche de ténor léger, familier de l'opérette ou du baroque, il convainc plus en amoureux transi qu'en chef de conjurés, dont la vaillance lui manque : un Cinq-Mars stylé, mais trop suave pour un rôle que Gounod lui-même a peu corsé. Marie frémissante de lumière blessée, mieux assortie à l'Américain, Véronique Gens s'impose en revanche aussitôt, illustration du renouveau du chant français des dernières décennies, modèle de phrasé et d'articulation. On en dira autant de Tassis Christoyannis, superbe en De Thou, qui est chez Gounod ce que Posa est chez Verdi. Si la Marion Delorme de Norma Nahoun paraît encore un peu jeune, on a soigné le reste de la distribution, du Père Joseph machiavélique, au mordant venimeux d'Andrew Foster-Williams au Fontrailles racé d'André Heyboer, de la toujours impeccable Marie Lenormand, Ninon de Lenclos ou simple Bergère, à Jacques-Greg Belobo, qui donne du relief aux quelques mesures du Roi. On pourrait souhaiter plus de couleurs à la française chez Ulf Schirmer, mais il va au cœur d'une partition qu'il défend en chef de théâtre, clair, précis et nuancé, à la tête d'un bel orchestre de la Radio de Munich - et du Chœur de la Radio bavaroise, un des meilleurs aujourd'hui.
D.V.M.