Heinz Hoppe (Pedro), Hanne-Lore Kuhse (Marta), Ernst Gutstein (Sebastiano), Theo Adam (Tommaso), Günther Leib (Moruccio), Rosemarie Rönisch (Nuri), Ingeborg Wenglor (Pepa), Jola Koziel (Antonia), Gertraud Prenzlow (Rosalia), Harald Neukirch (Nando). Orchestre de la Staatskapelle de Dresde et chœur de l'Opéra d'État de Dresde, dir. Paul Schmitz (Dresde, 1963).

CD Brilliant Classics 95114. Livret allemand et anglais disponible sur le site www.brilliantclassics.com. Distr. UVM Distribution.

Créé à l'Opéra allemand de Prague en 1903, Tiefland d'Eugen d'Albert est l'adaptation de la pièce Terra baixa que l'auteur catalan Ángel Guimerá avait fait jouer avec grand succès sept ans plus tôt à Madrid. Opposant en une vision manichéenne la pureté de la vie dans les Pyrénées aux turpitudes de l'existence sur les « basses terres », l'opéra constitue le meilleur exemple de ce que l'on peut appeler le vérisme allemand. Comme dans Cavalleria rusticana ou Pagliacci, la violence des passions entraîne la vengeance par le sang. Le triangle amoureux est ici formé du berger Pedro, de Marta et de son amant, le riche propriétaire Sebastiano. Ce dernier oblige la jeune femme à épouser Pedro, à qui il destine le rôle de mari complaisant. Contre toute attente, Marta développe des sentiments amoureux à l'endroit de Pedro et refuse d'appartenir à un autre homme que son époux. Dans un dénouement aussi abrupt que tragique, Pedro étrangle Sebastiano et quitte la ville corrompue en compagnie de Marta pour retourner dans ses montagnes bien-aimées.

Enregistrée en 1963 dans la Lukaskirche de Dresde, cette version avait disparu des catalogues, situation regrettable eu égard à ses nombreux atouts. Tout au long des deux heures et quart que totalisent le prélude et les deux actes, le chef Paul Schmitz cisèle merveilleusement les longues phrases exaltées d'un style éclectique qui tient à la fois de Wagner, de Mascagni et même de l'opérette viennoise. Il dispose d'un des plus beaux orchestres qui soient, celui de la Staatskapelle, qui atteint à un raffinement extraordinaire, notamment grâce à son remarquable pupitre de cordes. À l'exception notable de Theo Adam qui campe un très digne doyen du village, la distribution réunit des chanteurs peu connus, mais qui n'en défendent pas moins avec beaucoup de conviction leurs rôles respectifs. Ainsi en est-il du ténor Heinz Hoppe dont la voix solide et le relatif manque de subtilité conviennent parfaitement au personnage un peu fruste de Pedro. Si Hanne-Lore Kuhse est parfois éprouvée par certains passages très exposés, sa Marta frémissante force l'admiration. Ernst Gutstein, qui enregistrait la même année Jochanaan dans la Salomé dirigée par Otmar Suitner, possède pour sa part l'autorité vocale nécessaire pour donner vie au personnage détestable de Sebastiano. Parmi les rôles secondaires, la Nuri de Rosemarie Rönisch se démarque par sa candeur et son timbre fruité. En définitive, Brilliant a eu cent fois raison de rééditer cette version qui permet d'entendre non seulement une fabuleuse phalange orchestrale, mais des chanteurs injustement négligés par l'industrie du disque.

L.B.