CD Naxos 8.660386. Distr. Outhere.
La vie napolitaine... elle vous a de ces mystères et de ces intrigues ! Imaginez un peu qu'au tournant des années dix du siècle passé, Ermanno Wolf-Ferrari, maître de la comédie subtile et du nouveau « parlar cantando », succombe aux sirènes du vérisme tardif en donnant dans l'exubérance vocale. Lui qui avait mis quelques décennies à réfréner son instinct italien en le bridant avec des conversations en musique et des comédies de genre auprès desquelles le Capriccio de Strauss et Krauss ne serait qu'un pastiche fumeux, le voilà tout entier ultramontain. Et immédiatement fustigé : aucune scène italienne ne voulut de son opéra en quatre actes sis à Naples. Finalement, le Kurfürstenoper de Berlin divulgua l'œuvre le 23 décembre 1911. Depuis, la péninsule l'ignore avec constance - contrairement à ses opéras déduits de Goldoni - alors qu'il est probablement le plus italien de ses ouvrages, ne serait-ce que par l'argument : Gennaro, forgeron de son état, aime d'un amour qu'il croit coupable sa sœur, Maliella. Apprenant qu'elle n'est que sa sœur de lait, il espère enfin. Mais il a un rival camoriste, Rafaele. Pour prouver son amour il se promet de voler les joyaux dont la Madone est parée le jour de sa fête afin de les offrir à Maliella. Il lui apporte les bijoux, mais celle-ci s'est promise à Rafaele - cependant elle se donne au voleur. Le lendemain, elle rejoint Rafaele avec son trésor en accusant Gennaro de l'avoir violée. Celui-ci comparaît devant les camoristes qui prennent la fuite, craignant d'être soupçonnés dans le vol des bijoux. Il les reprend, va les déposer au pied de la Madone et se poignarde. Argument idéal pour un opéra vériste, si Wolf-Ferrari avait consenti à en réduire les paysages du contexte comme la psyché des personnages. Mais non, fasciné par la complexité du sujet, enivré par la couleur locale qu'il pouvait peindre et la dimension humaine du drame, il ne cède rien, écrit son chef-d'œuvre et sombre dans l'incompréhension puis dans l'oubli.
Bravo à Friedrich Haider d'oser cette résurrection, mais hélas il est trahi par un ténor barytonant et une soprano hurleuse. Il faudra donc revenir au « revival » exemplaire produit par la BBC en 1976 et édité sous le manteau par Bella Voce : Pauline Tinsley - pour les discophiles, l'Elettra furieuse du premier Idomeneo selon Colin Davis - y campe Maliella (et, pour enfoncer le clou, l'éditeur ajoute la scène de Lady Macbeth du Macbeth de Verdi où elle est splendide d'aplomb, avec pour seul soutien un piano étique), André Turp incane Gennaro, ténor de bronze au style parfait, Peter Glossop met un peu de John Claggart à son Rafaele et Alberto Erede dose parfaitement germanie et Italie : la messe est dite.
J.-C.H.