CD Melodia MELCD 1002050. Distr. Codaex.
En 1978, Mstislav Rostropovitch rétablissait, à l'occasion d'un enregistrement demeuré célèbre, la version originale scandaleuse - à cause essentiellement d'un interlude pornographique - de cette Katerina Izmailova, qui retrouvait son titre princeps, Lady Macbeth de Mtsensk. On chanta les louanges de cette redécouverte jugée alors comme une révélation et on envoya un peu vite aux oubliettes la révision patiemment mise au net par Chostakovitch après la mort de Staline, qui laissait au compositeur un vague espoir quant à la reprise de son opéra. Il lui faudrait attendre dix années pour que l'œuvre reparaisse à Moscou, retrouvant les planches du théâtre Stanislavski Nemirovich-Danchenko.
C'est l'écho de la création de cette ultime version, captée une année plus tard et dirigée par la main de fer de Gennady Provatorov, que Melodia republie pour la première fois depuis l'ère du microsillon, rendant enfin justice à la prise de son éloquente et précise d'Alexandre Grossman. Disons-le tout net, la discographie du double opéra s'en trouve bouleversée. D'abord par la Katerina tour à tour perdue puis transportée par l'amour d'Eleonora Andreyeva, mezzo à l'aigu ardent, qui dresse un portrait saisissant du personnage en le débarrassant du verni glacé et des stridences dont l'affligeait Galina Vichnevskaya, captée bien trop tard dans l'enregistrement de Rostropovitch et comme effrayée par les tessitures suraiguës que lui nota Chostakovitch à l'occasion de la version cinématographique. Andreyeva possède exactement la voix que voulait le compositeur pour sa nouvelle Katerina, solaire et violente, capable de saisir ces aigus hystériques sans les crier, en les chantant vraiment. Autre incarnation jamais égalée, le Boris d'Eduard Bulavin, basse impressionnante de noirceur et de cruauté, dont on regrette que le légendaire Godounov n'ait jamais été capté. Cette performance dramatique et vocale est incontournable. On pourra trouver le Sergei d'Efimov un peu univoque, uniquement sexuel, mais il est à un tel point le caractère exact du personnage - qui, au fond, ne doit servir que de faire valoir à Katerina - qu'on le préfère à tous ses concurrents, Gedda et Larine compris. Il faudrait citer toute la troupe où chaque chanteur dessine la trogne de son personnage avec un art de la caractérisation clouant. Il faudrait surtout détailler la verve et la poésie d'un orchestre bien moins symphonique, bien plus subtil dans ses registres et ses accents que celui de l'original, mené grand train par un chef qui en distille toute les beautés sulfureuses comme les commentaires souvent ironiques. Vous irez d'abord apprendre votre Lady ici, telle que l'a voulue finalement Chostakovitch, débarrassée de ses provocations mais singulièrement fortifiée dans son propos - une œuvre de la maturité, en somme.
J.-C.H.