Decca : Blu-Ray 074 3874 / DVD 074 38 73. Distr. Universal.
Une production vintage, c'est ainsi que Susan Graham, l'hôtesse du jour de cette captation HD du Met, qualifie cette reprise de la Rusalka signée Otto Schenk et Günther Schnieder-Siemssen, annonçant ainsi parfaitement la couleur. On la vit à Munich, dans son format original, l'année de sa création (1981), avec Behrens, n'imaginant pas alors qu'elle pourrait paraître un jour à ce point démodée. Et si effectivement, lors de son transfert à New York en 1993, elle n'a perdu ni une feuille ni un brin de mousse à sa forêt, ni un scintillement au petit lac central enchâssé dans tant de verdure qu'il en devient presque invisible, elle tient plus encore du chromo au naturalisme mignard, auquel manque seulement un cadre doré et ouvragé pour être accroché aux intérieurs peu sensibles à ce que peut être l'art contemporain. Mais telle est bien sûr l'image que Rusalka a véhiculée un siècle durant avant que les metteurs en scène (de Pountney à Carsen, de Kusej à Herheim, pour se limiter aux versions disponibles en vidéo) ne se penchent davantage sur son contenu psychologique que sur son kitsch visuel, quitte à la violenter quelque peu. On trouvera donc ici une forme d'information archéologique tout à fait respectable sur l'œuvre. Dommage que la direction d'acteurs, la plus conventionnelle qui soit, en reste au premier niveau, pour ne pas dire au simplisme d'un style totalement désuet, tentant de faire accroire à la jeunesse d'une Fleming bien mûre pour une ondine évanescente, découvrant sa matérialisation en femme avec des minauderies qu'on voudrait ne plus croiser sur scène ou à l'écran, surtout mises ainsi en valeur par une caméra forcément incisive et de ce fait indélicate.
Reste donc le témoin d'un autre temps, toujours utile pour relativiser le présent, et le témoin d'une des plus grandes interprètes du rôle, pour la seconde fois en vidéo en sus de son fameux enregistrement audio avec Mackerras, glorieux s'il en est. Renée Fleming, donc, qui avait gagné son entrée au Met avec l'Invocation à la lune, et repris le rôle à Benackova en 1997. Le glamour à tout prix a remplacé le naturel, et le gorgeous la subtilité d'un instrument un peu moins souple et surtout moins riche en couleurs franches qu'il y a quinze ans à Bastille, perte compensée par un peu plus de sensibilité et d'émotion qu'autrefois. Mais l'ensemble reste d'une beauté réelle, sinon profondément incarnée : le théâtre se fait ici aussi démonstration d'un art du chant institutionnalisé pour public conquis d'avance. Autour de la vedette, un Piotr Beczala somptueux de timbre et de chair vocale, mais si banal de présence - sympathique certes mais si superficielle -, une Emily Magee un peu aigre pour une Princesse plus vacharde que de besoin, un bel Ondin de John Relyea, ému mais ni imposant ni totalement noir, et une Dolora Zajick ronde et ample, et caricaturale comme jamais. Et la direction de Yannick Nézet-Séguin, qui tire de l'orchestre du Met de somptueuses harmonies, aux couleurs enjouées ou dramatiques à souhait, parfaitement aptes à mener le train de l'œuvre jusqu'au bout de son romantisme échevelé, compensant ainsi le compassé de l'image.
Un témoin qu'on préfèrera écouter que regarder, qui laisse le pas, pour ceux que la modernité n'effraie point, aux versions Carsen/Conlon/Fleming (TDK/Arthaus), Kusej/Hanus/Opolais (Unitel Classics) ou Herheim /Fischer/ Papatanasiu (EuroArts), toutes autrement passionnantes de scène et pas forcément moins somptueuses de son.
P.F.