SACD Challenge Classics CC72685. Distr. Socadisc.
On aurait pu craindre un biopic un peu trop littéral ou didactique. Grâce à un livret à tendance surréaliste, Janine Brogt adopte le point de vue subjectif d'une Marilyn Monroe saisie dans ses moments de doute et de réflexion, dans ses rêves et même ses hallucinations éthylo-médicamenteuses. Certains de ses proches apparaissent dans ces états de conscience errante : Clarke Gable, qui devient ici une figure paternelle, passerait presque pour un Commandeur buffa tant il profite des basses sépulcrales d'Alain Coulombe. Le quasi incontournable ténor Tom Randle illumine le rôle de Joe Di Maggio, mari éphémère de Marilyn, dont il fait regretter le caractère très secondaire. Alors que les frères Kennedy sont aussi bien servis vocalement que scéniquement fugaces, tout comme Norma Jeane (véritable prénom de l'actrice) qui nous vaut au troisième et dernier acte un joli duo de « Miss Monroe » avec elle-même, le rôle masculin principal, celui du producteur William Fox (dont la présence sur un tournage en 1962 défie les faits historiques), est moins bien doté. Le ton bougon très crédible qu'adopte le baryton Dale Duesing, comme son évident charisme scénique, servent assurément le personnage, mais on retient aussi une voix essoufflée qui nous impose un vibrato houleux sur chaque note tenue.
C'est en fait ailleurs que se situe le centre de gravité vocal de l'opéra. Marilyn (Laura Aikin), dont on appréciera, autant que les volutes limpides dans le haut du registre, de fort jolies teintes dans le grave et un « Happy birthday Mister President » (acte II) à la sensualité manifestement calquée sur l'original, est entourée de sa coach dramatique Paula et de son maquilleur bègue Whitey (alias Allan Snyder). Elle forme avec eux un trio de voix à la fois proches et complémentaires : l'alto capiteux d'Helena Rasker et le timbre androgyne du contreténor David DQ Lee la rejoignent souvent dans un entrelacs polyphonique subtil qui, même s'il laisse supposer l'influence des Trois sœurs d'Eötvös, constitue le meilleur atout de l'ouvrage. Hors de cet îlot privilégié, la palette vocale s'étend des douces lignes conjointes à la tension expressionniste en passant par un efficace Sprechgesang.
Robin de Raaff, qui signe avec Waiting for Miss Monroe (2011-2012) son deuxième opéra, est aussi un fin symphoniste, comme nous le rappelle son orchestration à la fois luxuriante et organique. Son écriture, quoique très homogène et favorisant une clarté toute néerlandaise des textures, intègre des allusions stylistiques aux tournures baroques ou aux clichés de la musique de film hollywoodienne, traitées en finesse. Sans accéder à une grande profondeur dramaturgique, le livret bénéficie d'une dynamique presque... cinématographique et présente sous un jour attachant cette Marilyn qui, quoique blonde, pense, enregistre des monologues à destination de son psy et lit Ulysses de Joyce.
P.R.