CD Capriccio C5261. Distr. Outhere.
C'est en plein cœur du Prater, dans le théâtre d'été du parc Venedig in Wien, que le compositeur autrichien Carl Michael Ziehrer (1843-1922) connut en juillet 1899 son plus éclatant succès sur la scène lyrique avec l'opérette Die Landstreicher (Les Vagabonds). Fils d'un chapelier prospère qui finança dès 1863 son premier orchestre, Ziehrer étudia au Conservatoire de Vienne sous la direction du célèbre Simon Sechter. Outre une intense activité de chef d'orchestre qui l'amena notamment à diriger plusieurs ensembles militaires, il composa une trentaine d'opérettes et plus de 600 valses, polonaises, marches, polkas, mazurkas... Après avoir suivi pendant plus de trente ans les brisées de Johann Strauss fils, il fit créer ces Vagabonds quelques semaines à peine après la mort de son éternel rival, espérant sans doute pouvoir devenir le nouveau maître de l'opérette viennoise. Il avait d'autant plus de raisons de croire en sa bonne étoile que Franz von Suppé était décédé depuis quatre ans et que Carl Millöcker (qui allait mourir en décembre 1899) avait cessé de composer pour la scène. S'il ne renouvela jamais ce triomphe, il vit néanmoins la reconnaissance officielle de son talent lorsque, en 1907, François Joseph le nomma « directeur de la musique des bals de la cour impériale et royale », poste occupé avant lui uniquement par les membres de la dynastie Strauss. Intimement associé à la délicieuse insouciance du « Monde d'hier », il meurt ruiné quatre ans après la chute de l'Empire et la fin de la Première Guerre mondiale.
Très populaires en pays germaniques, Les Vagabonds ont été adaptés au cinéma dès 1916 et ont donné lieu à au moins deux enregistrements intégraux, en 1951 et 1965, dirigés respectivement par Wilhelm Stephan (avec Anneliese Rothenberger et Rupert Glawitsch) et Max Schönherr. La présente version, qui a dû attendre huit ans avant sa mise sur le marché, nous permet de comprendre pourquoi l'ouvrage a pu atteindre plus de 1500 représentations : sur un scénario amusant s'articulant autour des péripéties rocambolesques de deux chanteurs itinérants qui trouvent un billet de 1000 marks et un (faux) collier de perles, Ziehrer a composé une partition d'une énergie peu commune, qui comporte non seulement des pages aux accents martiaux irrésistibles (duo « Der Zauber der Montur »), mais aussi des moments de tendresse extatique, comme dans le merveilleux Lied « Sei gepriesen, du lauschige Nacht ». Le ténor Daniel Behle s'y montre admirable d'ardeur, de raffinement et de pure beauté vocale. Il est fort bien entouré par une distribution parfaitement homogène, au sein de laquelle se démarquent en particulier le ténor Thomas Dewald et la soprano Maria Leyer, qui campent des époux Fliederbusch truculents à souhait. En plus de la suave Mimi de Caroline Stein, on prêtera attention aux deux ténors Boris Leisenheimer et Dominik Wortig (lieutenants Rudi et Mucki), impayables dans leur marche du premier acte. Helmuth Froschauer, qui a notamment dirigé les Petits Chanteurs de Vienne, le Wiener Singverein et les chœurs de l'Opéra de Vienne, insuffle une dose massive d'entrain à toute sa joyeuse équipe et donne beaucoup de relief à une musique sans prétention mais d'une bonne humeur contagieuse.
L.B.