Anne-Catherine Gillet (l'Aiglon, duc de Reichstadt), Marc Barrard (Séraphin Flambeau), Etienne Dupuis (le Prince de Metternich), Philippe Sly (le Maréchal Marmont), Pascal Charbonneau (l'Attaché militaire), Hélène Guilmette (Thérèse de Lorget), Marie-Nicole Lemieux (Marie-Louise), Julie Boulianne (Fanny Eisler), Chœur et Orchestre symphonique de Montréal, dir. Kent Nagano (2015).
CD Decca 4789502. Distr. Universal.

 

Le voici enfin, cet Aiglon porté au triomphe par Fanny Heldy, Vanni-Marcoux et Endrèze sur la scène du « Petit Garnier » de Monte-Carlo le 11 mars 1937 ! On savait, grâce à un concert de Radio France mené grand train par Pierre Dervaux mais coupant large dans la partition, la force certaine de l'œuvre, le livret déduit par Henri Cain du drame de Rostand ne comptant pas pour peu. Chez Dervaux, Boué, Bourdin et Depraz portaient encore un style qui se rappelait du grand chant français de l'entre-deux-guerres, le mot égalant la note. Celles et ceux qui se sont frottés depuis à L'Aiglon lors de ses rares réévaluations scéniques ont buté contre un écueil majeur : retrouver ce style vocal sur lequel Ibert et Honegger ont modelé et leur écriture et leur geste dramatique. Alexia Cousin s'était parfaitement glissée dans l'uniforme du Duc de Reichstadt - on l'a encore dans l'œil, quelle présence ! Mais le chant...

Eh bien, miracle !, le chant de L'Aiglon est encore possible. Il faut avouer que du jour où Anne-Catherine Gillet parut, soudain un soprano très français - de projection, de couleurs, d'appuis, de timbres, de mots - ressuscita : celui, alerte, dru, lancé, où les mots claquent, où l'aigu signifie élan propre à Fanny Heldy ; du charme, mais d'abord du caractère. Anne-Catherine Gillet à elle seule emporterait l'affaire, dans l'exaltation - divine, ardente, solaire mais toujours avec cette brisure - comme dans l'expiration, lorsque Ibert reprend la plume à Honegger, faisant entendre un Te Deum spectral.

Car si tout dans L'Aiglon est assez admirable, depuis son répertoire pris aux anciennes chansons françaises jusqu'à la science d'un orchestre capable d'être au bal ou à la bataille exactement avec la même efficacité, c'est la mort du Duc de Reichstadt qui gagne la partie, moment extraordinaire où l'on se trouve à l'opéra et plus au spectacle. Le génie d'Ibert est immense ici, celui d'Honegger, pratique, lui cède toujours : à lui les effets lorsque Wagram est évoqué. Mais tout du long l'émotion reviendra à Ibert, un compositeur lyrique qui d'ailleurs n'aura écrit dans ce domaine que des chefs-d'œuvre aussi discrets que prégnants, où le brio ne se départ jamais de l'émotion. Si on ajoute à la déchirante Gillet le Flambeau de Barrard - sa scène avec le duc de Gramont est anthologique -, dont la variété dramatique est sciante, le Metternich très tenu d'Etienne Dupuy, l'orchestre tout en atmosphères et en coups de théâtre de Nagano ainsi qu'une troupe formidable, alors, cette fois, on peut l'assurer : L'Aiglon a repris son vol.

J.-C.H.