Matthew Brook (Anacréon), Anna Dennis (Chloé), Agustin Prunell-Friend (Batile), Orchestra & Choir of the Age of Enlightenment, dir. Jonathan Williams (2015).
CD Signum 402. Notice en anglais. Distr. UVM Distribution.

 

Rameau a composé deux Anacréon différents qui se ressemblent fort : tous deux sont des « actes de ballet » (petit opéra en un seul acte et cinq ou six scènes, faisant large place à la danse et pouvant être intégré à un ouvrage plus vaste), datent des années 1750 et sont consacrés au même poète antique. L'Anacréon de 1757, le mieux connu, écrit sur un texte de Gentil-Bernard pour servir de troisième entrée aux Surprises de l'Amour, a été plusieurs fois gravé (récemment par d'Hérin, dans le cadre des dites Surprises, auparavant par Christie et Minkowski). Celui conçu pour Fontainebleau en 1754 (en vue d'un triptyque jamais achevé, intitulé Les Beaux Jours de l'Amour) est ici enregistré pour la première fois : si la partition originale en a disparu, celle des reprises de 1766 et 1771 a permis l'élaboration d'une édition critique incluse dans l'Opera Omnia de Rameau chez Bärenreiter. Dans le livret, cette fois dû à l'inusable Cahusac, le vieux poète Anacréon fait croire à la belle Chloé qu'il compte l'épouser, ce qui engage la jeune fille à révéler enfin sa flamme à son amoureux, Batile : « du mensonge naît la vérité », aurait rappelé Calderon. Si le prétexte dramatique n'a rien de mémorable, la musique se distingue par son inaltérable verve orchestrale - surtout dans la seconde partie, celle du divertissement -, ses alliages de timbres féériques, où les cors jouent un rôle tout aussi important que celui, plus coutumier, des hautbois, bassons et flûtes, et un refus constant des redites (même les nombreuses « ariettes » contournent le da capo). Sans être, d'un point de vue mélodique, la plus frappante de Rameau, la partition colle à ravir au thème de la labilité du réel, aussi changeant qu'imprévisible. Sous la baguette pleine de souplesse et de bonhomie de Jonathan Williams, l'Orchestre de l'Age des Lumières nous livre ainsi un kaléidoscope de teintes et de saveurs. Malheureusement, les trois solistes vocaux nous délivrent, eux, un festival de sons droits, mâchonnés, mal placés et embarrassés : jamais on n'a si bien perçu combien le manque de familiarité avec une langue (en l'occurrence le français) peut conduire un chanteur à contraindre son émission ! L'on a dès lors vraiment du mal à goûter les morceaux ravissants dévolus à une soprano tubée (« Tendre Amour !») et à un ténor maniéré (« Qu'Anacréon dans ce séjour ») ; et seul le baryton Matthew Brook parvient à transformer l'emphase de son chant en atout interprétatif. Merci pour cette exhumation, mais on attend désormais avec impatience une intégrale francophone !

O.R.