Désirée Rancatore (Constance), Javier Camarena (Belmonte), Kurt Rydl (Osmin), Rebecca Nelsen (Blondchen), Thomas Ebenstein (Pedrillo), Tobias Moretti (Bassa Selim), Camerata Salzbourg, dir. Hans Graf, mise en scène : Adrian Marthaler (aéroport de Salzbourg, 2013).
Arthaus Musik 102 183. Distr. Harmonia Mundi.

 

Ne vous laissez pas abuser par une lecture trop rapide de l'affiche : le Marthaler qui met en scène cet Enlèvement au sérail n'est pas Christoph, le dynamiteur de pièces que vous adorez détester. C'est son frère aîné Adrian, homme d'audio-visuel qui fut responsable des programmes de la télévision suisse. Il s'est spécialisé dans des coups médiatiques, comme par exemple une Traviata filmée à la gare de Zurich. C'est en 2013 à Salzbourg qu'il a tourné cet Enlèvement. Au Festspielhaus ? Au Manège des rochers ? Non, ce serait trop simple. Au hangar n°7 de l'aéroport de Salzbourg, aménagé en gigantesque studio. L'orchestre est à 80 mètres des chanteurs, qui ont le retour grâce à une oreillette et un micro qui aident à conserver la coordination. Au milieu d'avions anciens, on a reconstitué un défilé de mode. Car Selim est un grand styliste qui règne en despote sur secrétaires (Pedrillo), couturières (Blondchen) et mannequins, parmi lesquels il aimerait bien voir Constance lui obéir, elle qui est partagée entre son attrait pour le luxe et sa fidélité à Belmonte. En direct, les chanteurs-acteurs parcourent des distances considérables au milieu d'une foule d'invités oisifs et aisés, coupe de champagne à la main, dont les sourires niais laissent entendre qu'il ne s'agit pas de figurants mais de spectateurs lambda recrutés pour l'occasion. Selim quitte le hangar en jeep, Belmonte et Pedrillo montent dans un hélicoptère. Tout cela est vain, purement décoratif, on n'admire que le tour de force télévisuel consistant à changer d'aire de jeu par des travellings sur caméra articulée. C'est d'un vide tellement sidéral que l'on se demande comment la même famille a pu engendrer un metteur en scène iconoclaste mais capable de nous placer face à des interrogations fondamentales et de changer à jamais notre regard en profondeur sur une œuvre, et un réalisateur de clips qui n'a qu'effets spéciaux et mouvements de caméras à offrir comme cache-misère pour une absence totale de projet dramatique. Autant dire que l'œuvre disparaît complètement, avalée tout crue par le dispositif.

Difficile, dans ces conditions de parler des interprètes. Tobias Moretti est un formidable acteur mais il surjoue son Selim outré, accentuant le contraste avec la placidité de Désirée Rancatore et Javier Camarena, surtout soucieux d'être dans l'axe et synchronisés, avec plus de scrupule que de classe pour elle, et une voix résolument trop légère et latine pour lui. Le vétéran Kurt Rydl semble s'être bien amusé à ce défi théâtral, dont il se sort le mieux, quelle que soit la fatigue plus qu'audible de la voix. Joli couple de valets, orchestre sans saveur, ce dont on ne fera grief ni au chef Hans Graf, ni à la Camerata Salzbourg, puisqu'ils doivent se contenter du rôle de bande sonore auquel on les a réduits.

C.M.