Birgit Nilsson (la Teinturière), Walter Berry (Barak), Siv Wennberg (l'Impératrice), Matti Kastu (l'Empereur), Barbro Ericson (la Nourrice), Kungliga Hovkapellet de Stockholm, dir. Berislav Klobucar (live, Stockholm 13.XII.1975).
CD Sterling CDA-1696/1698-2. Distr. DistrArt Musique.

Cette représentation captée sur le vif le 13 décembre 1975 pourrait paraître anecdotique à première vue, elle n'en fut pas moins un événement à plus d'un titre. D'abord, il s'agissait de la première scandinave de la Frau ohne Schatten, cinquante-sept ans après sa création mondiale à Vienne ! Pour ce défi, le directeur de l'Opéra de Stockholm, Bertil Bokstedt, n'avait rien laissé au hasard, à commencer par la production : il avait jeté son dévolu sur la mise en scène du jeune Nikolaus Lehnhoff qui venait de faire les beaux soirs de l'Opéra de Paris. Quant au rôle titre, il avait frappé un grand coup en faisant appel à Birgit Nilsson. Parce que c'était le retour au pays de l'enfant prodigue : elle qui avait effectué ses premières années de carrière vingt ans avant à Stockholm avec le statut de soprano suédoise prometteuse, revenait en légende vivante auréolée de ses triomphes à Bayreuth, au Met et à la Scala. Mais elle abordait surtout la Teinturière pour la première fois, elle qui était depuis dix ans déjà une Elektra incontestée. On lui avait laissé le choix entre la femme de Barak et l'Impératrice, mais elle considéra que cette dernière était marquée à jamais par Leonie Rysanek. Elle a bien fait, car c'est de toute évidence la Färberin qui était faite pour elle, surtout à cette époque de sa carrière où sa voix si fulgurante était devenue plus anguleuse. De fait, on entend ici fluctuations de justesse et duretés qui frapperont moins deux ans après chez Böhm, mais sa puissance ne laisse décidément d'impressionner.

Du coup, pour l'Impératrice, on se tourna vers une soprano suédoise plus jeune et à la silhouette plus flatteuse, Siv Wennberg, qui venait de chanter Sieglinde à Stockholm et était en troupe à Stuttgart. C'est la grande découverte de ce disque : le fait que sa carrière soit restée essentiellement provinciale et qu'elle ait peu enregistré nous avait fait passer à côté d'une voix pourtant lumineuse et magnifiquement conduite : on est demandeur d'autres témoignages de cette belle artiste. On connaît bien le Barak si humain de Walter Berry, moins l'Empereur du Finlandais Matti Kastu, si ce n'est dans l'Hélène égyptienne par Dorati : il n'est que solide. Quant à la Nourrice de Barbro Ericson, elle est tout simplement considérable ! Ce que l'on entend surtout ici, c'est la ferveur d'une compagnie d'opéra qui se lance un défi considérable en montant l'un des ouvrages les plus exigeants du répertoire et le fait sans l'ombre d'une routine, avec un engagement palpable jusque dans le moindre second rôle. Pour se laisser guider dans les méandres de cette partition touffue, les Suédois avaient eu la main heureuse en recrutant Berislav Klobucar, habitué du Festival de Bayreuth et de la Staatsoper de Vienne : il n'est certes pas Karl Böhm, mais ce Kapellmeister de grand métier tire le meilleur de la Chapelle royale de Stockholm et insuffle à la soirée le juste mélange de sécurité et d'intensité qui permet à la musique de Strauss de se déployer. Une référence ? Sans doute pas, mais une pièce non négligeable à ajouter au dossier de La Femme sans ombre.

C.M.