Juhan Tralla (Prince Mychkine), Steven Scheschareg (Rogojine), Ludmila Slepneva (Nastassia Filipovna), Lars Møller (Lebedev), Bryan Boyce (Totski), Bartosz Urbanowicz (Epantchine), Elzbieta Ardam (Epantchina), Anne-Theresa Møller (Aglaya), Tamara Banjesević (Alexandra), Orchestre du Théâtre National de Mannheim, dir. Thomas Sanderling (2014).
PanClassics PC 10328. Distr. Outhere.

 

Bien que né en Pologne où il a reçu sa première éducation musicale, Mieczysław Weinberg a constitué son catalogue prolifique en tant que compositeur russe. De ses sept opéras, le plus célèbre, L'Idiot, ne fut créé dans sa version scénique complète qu'en 2013. C'est de cette production du Théâtre National de Mannheim qu'est directement issu ce disque. Quoique touffu, ce qui ne surprend guère étant donné le nombre de personnages et leur interaction plutôt complexe héritée de Dostoïevski, le livret d'Alexander Medvedev est efficace et tire une bonne partie de sa dynamique de ses nombreuses scènes croisées.

Le Prince Mychkine, qui ne doit son étiquette d'« idiot » qu'à son décalage avec le modèle social dominant, offre un rôle aussi délicat que riche. Le ténor estonien Juhan Tralla lui donne une très belle consistance vocale, à la fois dense et très claire, et incarne avec une grande justesse ce mélange de candeur et de sensibilité extrême dont dépend l'aura du personnage. Lebedev, que tout oppose en apparence à Mychkine, est celui qui le comprend le mieux, et son caractère plus rustique est bien rendu par la voix large du baryton Lars Møller. Les quelques imprécisions de l'intonation - aléa partagé par le Gania un peu aigrelet de Uwe Eikötter - sont oubliées lorsqu'arrive sa savoureuse pseudo-romance populaire (sc. 4) avec piano sur scène. Steven Scheschareg campe un Rogojine charismatique et très expressif, mais dont le vibrato invasif s'impose dès le premier air, où pas une note tenue ne nous dispense d'un tangage assez désagréable.

Échappant elle aussi aux canons sociaux, Nastassia Filipovna est entourée d'un certain mystère. Sans compromettre l'assise vocale qui lui donne beaucoup de présence, Ludmila Slepneva communique à son personnage une douceur teintée d'un zeste d'inquiétude existentielle, qui n'empêche aucunement, au gré de son évolution psychologique, des élans d'un lyrisme à la générosité puccinienne. Parmi les autres rôles féminins se distingue celui d'Aglaya, la plus présente des filles Epantchine, dont Anne-Theresa Møller fait culminer l'intensité expressive avec la scène du récit du poème (sc. 6, « Il était un chevalier, pauvre et simple... »).

Si la matière orchestrale trahit l'influence indéniable de Prokofiev et surtout de Chostakovitch, elle n'en est pas moins marquée par un postromantisme dont Mahler est indubitablement le modèle, notamment dans l'écriture des cordes souvent associées aux airs de Nastassia. Un vocabulaire expressif lié à la musique de film affleure également à plusieurs reprises, et Thomas Sanderling pousse l'orchestre vers une bénéfique tension sans induire de pathos excessif. Bien que non rédhibitoire, la prise de son très erratique des voix - frôlant parfois l'éclipse, au moins partielle - entache un enregistrement de facto déjà historique.

P.R.