Dominique Catteau choisit dans un ouvrage concis et équilibré de réhabiliter l'intelligence dramatique du livret conçu par Hector Berlioz pour Les Troyens. L'auteur ne s'intéresse donc volontairement pas à la musique ; il suit en revanche le déroulement de chaque acte et s'emploie avec finesse à en souligner les nuances. Cela permet de définir précisément ce que Berlioz sait de la tragédie et comment il utilise ce genre pour mieux affirmer la subtilité de sa recherche créatrice. Le sens berliozien de la tragédie antique est ainsi souvent rapproché de Sophocle plutôt que de Virgile et la dramaturgie shakespearienne apparaît dans sa plus belle compréhension française. Ainsi, à qui veut approcher du dispositif créateur théâtral, scénique et dramatique de Berlioz et dépasser les impressions de copie mal arrangée dont on affuble souvent le compositeur romantique, ce livre tiendra lieu d'une indispensable lecture. Les perspectives qu'il ouvre, les mises au point qu'il affirme relèvent en effet d'une connaissance solide qui n'évite pas toujours les effets de manche un peu faciles. Lorsqu'il s'agit d'opposer Cassandre à Andromaque - ce qui est une idée importante de la démonstration -, Dominique Catteau s'enflamme et écrit de la sublime épouse de Chorèbe : « Elle est d'une autre trempe » (p. 54). On excuse volontiers cet enthousiasme... peut-être plus que certaines tirades qui s'emballent comme à la page 108, sur le thème « nul n'est prophète en son pays ».
L'ouvrage s'ouvre de façon complexe sur une préface d'Hermann Hoffer consacrée au rôle de médiation du livret face à la musique, au spectacle et aux nombreux interprètes et agents que nécessite la réalisation de l'œuvre, depuis les chanteurs et les musiciens jusqu'aux décorateurs, machinistes... Une « Introduction » de Dominique Catteau intervient ensuite. Extrêmement intéressante, elle s'emploie à démontrer comment Berlioz réinvente et respecte les valeurs de tragique, de drame, de sens du destin, d'épopée. Il est évident pour Dominique Catteau que Berlioz donne un souffle moderne aux modèles antiques qu'il rejoint néanmoins. Il oublie Racine et combine avec un art remarquable - bien souvent méconnu des critiques, voire des berlioziens patentés - les informations savantes et archéologiques de l'époque avec celles que lui procure « l'amitié » - le mot n'est-il pas un peu excessif ? - de Gustave Flaubert.
L'analyse linéaire des cinq actes, nécessairement un peu narrative, donne lieu au corps du livre. Il s'agit d'y recueillir des informations judicieuses et d'observer comment l'auteur démontre des cohérences subtiles qui se répondent entre les actes, faits d'ordinaire considérés comme des redondances et des incapacités dramatiques. Il en résulte que les solutions proposées par Berlioz n'ont rien à envier à celles que réussit Richard Wagner. Ainsi les destins funestes de Cassandre puis de Didon ne sont pas tant le signe d'une impuissance imaginative que celui d'une judicieuse progression dramatique cumulative, réglant le sort antique puis proposant le tragique moderne. L'acte III répond subtilement à l'acte I tout en l'infléchissant vers d'autres logiques.
La conclusion propose que la musique enfin prenne la parole. Or si cette sortie est une jolie pirouette, on peut, face à tant de faconde et de fluidité de la pensée, trouver regrettable que l'organisation poétique du livret si bien scrutée soit en effet tant séparée des intentions musicales. Certaines conclusions séduisantes d'un point de vue de l'analyse stricte du texte et de son évolution semblent en effet moins assurées dès lors qu'on observe comment ce texte est aussi et avant tout pensé pour la musique.
A.R.