Opera Rara ORC54. Distr. Harmonia Mundi.
Henri, rebelle au pouvoir oppresseur, est amoureux d'Hélène, icône de la résistance, et bénéficie de la mystérieuse bienveillance du gouverneur occupant : à qui l'intrigue du Duc d'Albe paraîtrait familière, rappelons qu'après la mort de Donizetti - qui avait laissé l'opéra inachevé en 1839 - Scribe (son co-librettiste avec Duveyrier) en proposa le livret (déplacé des Flandres renaissantes à la Sicile médiévale) à Giuseppe Verdi... qui en fit ses Vêpres siciliennes. La partition du Duc d'Albe fut plus tard complétée par Matteo Salvi sur un livret traduit en italien par Angelo Zanardini : créé à Rome en 1882, ce Duca d'Alba fut repris sporadiquement à partir des années cinquante. En 2012 le Vlaamse Opera proposait un premier retour aux sources, revenant au Duc français dans l'édition critique de Roger Parker, et confiant au compositeur Giorgio Battistelli le soin de compléter de façon personnelle la partition de Donizetti : le résultat était une réussite (CD Dynamic).
C'est au tour d'Opera Rara de proposer son Duc d'Albe, exclusivement concentré sur les deux actes originaux cette fois, et se plaçant dans la lignée des belles réussites donizettiennes récentes du label : Belisario et Rita (2012) puis Les Martyrs (2014) étaient déjà placés sous la baguette experte de Sir Marc Elder, qui sait exprimer le grand-opéra français dans son mélange de dignité et de clarté. Soulignons la qualité de l'orchestre Hallé et celle, superlative, de l'Opera Rara Chorus, au français remarquable et aux nuances éloquentes - une élocution châtiée également admirable chez tous les solistes. Ismael Jordi et Rachel Harnisch, certes convaincants en 2012, sont ici supplantés par la brillance d'Angela Meade, une Hélène qui fond ses éclats en une longue tessiture homogène, et l'Henri idéal de Michael Spyres dont le timbre, le chant, l'instinct, semblent taillés pour ressusciter la vocalité d'un Duprez (créateur des trois grands-opéras achevés de Donizetti : Les Martyrs, La Favorite et Dom Sébastien), mâtiné d'un Nourrit (contre-notes sidérantes). A la fois vaillante et souple, projetée et melliflue, lumineuse mais ancrée dans un medium chaleureux, masquant le rien de nasalité de quelques voyelles derrière une rondeur et des intentions expressives, cette voix est celle d'Henri, celle du Donizetti de l'Opéra, celle d'un style retrouvé. On aurait décerné, ô combien, la Révérence... n'étaient des clés de fa comme coupées du projet : non que Laurent Naouri (le Duc) ou Gianluca Buratto (Daniel) fassent défaut de style, de présence ou d'intelligibilité ; mais leur chant, de technique plus bâillée, étouffe considérablement leur timbre, ombreux quand il faudrait du mordant face aux harmoniques solaires de leurs partenaires. L'équilibre de l'ensemble en pâtit, certains ensembles en paraissant même clivés - et l'on regrette le Duc de George Petean (2012) qui était, lui, plus en phase avec la vocalité donizettienne.
On salue néanmoins cette réalisation, non seulement pour un Spyres au sommet, mais aussi pour les qualités de fond que le label Opera Rara affiche disque après disque.
C.C.