CD Orfeo C 900153 D. Distr. Harmonia Mundi.
Un Lohengrin intégral de Knappertsbusch ? Aubaine assurément, car si trois Ring intégraux (Bayreuth 1956-58), deux Crépuscule des dieux (Bayreuth 1951, Munich 1955), un Hollandais (Bayreuth 1955), un Tristan (Munich 1950), quatre Maîtres (Decca en studio 1950, Bayreuth 1952 et 1960, Munich 1955), et bien sûr la quasi intégralité des treize ans de son Parsifal de la Colline Verte, de 1951 à 1964, documentent formidablement son parcours wagnérien, rien n'existait de Tannhäuser et Lohengrin qui soit connu à ce jour pour compléter une intégrale Wagner sous son bâton, hors quelques extraits live des fameuses archives de Hermann May à Vienne dans les années trente. Découverte dans les archives d'Herbert List, un membre de l'Intendance de la Bayerischen Staatsoper des années soixante, cette captation de la dernière des 16 représentations de Lohengrin que Kna conduisit dans la fosse du Prinzregententheater à Munich entre 1955 et 1963 (et par ailleurs dernière représentation d'un opéra dans ce théâtre avant les 25 ans de sa très longue fermeture), cette captation aurait donc tout simplement été oubliée ! Orfeo a raison de la publier, malgré les étranges résonances de la scène de l'arrivée du Chevalier au cygne et du duo du serment d'Elsa, qui installent leurs voix dans un halo excessivement réverbéré. Un défaut de placement des micros, sans doute, qu'on jugea peut-être alors rédhibitoire, comme les saturations dont souffre ici et là la masse chorale, en particulier à l'acte II.
Dommage, car on entre à nouveau dans le domaine d'un Wagner puissant, solide, charpenté, s'opposant franchement à celui d'un Wagner « dégraissé », comme avec Sawallisch qui, à Bayreuth l'année précédente, dirigea l'œuvre avec 18 minutes en moins. La battue est donc lente, solennelle, mais lumineuse et assez claire de texture, intense et pénétrée, mais bien moins engagée et fascinante que dans les Ring de Kna. Et si c'est bien elle qui mène le jeu dramatique, plus que la régie de Rudolf Hartmann dont les photos montrent qu'elle copiait assez directement la production bayreuthienne de 1953 signée de Wolfgang Wagner, cela ne peut cacher aussi, avec le vieux Kna de 75 ans, certains relâchements dans les grands ensembles choraux du I et au milieu du II, et de vraies baisses de tension au finale du même acte ou au duo du III, qui flottent souvent.
Défaut très audible que son équipe vocale aurait bien du mal à compenser par une prestation renversante. Car si elle est aussi solide, elle n'est pas exceptionnelle. Ainsi, Ingrid Bjoner, avec son vibrato léger, son aigu plein, offre une bonne Elsa selon la tradition, ni torche vive façon Rysanek, ni révoltée façon Silja, ni angélique façon Grümmer - pour en rester à l'époque. Son chant n'a ni la splendeur de la première, ni le lait de la troisième. Manque plus encore un foyer qui irradie. Et la lenteur de la battue ne lui est pas non plus favorable : à la « dispute des reines », on sent bien le manque d'appui et le vide de la pensée. Le plus étonnant reste Hans Hopf, fort ténor à grosse voix peu séduisante, souvent geignard et criard : on fuit ses Siegfried, on peine à son Tannhäuser. Or il donne ici une leçon de tenue et de style - avec un timbre assez laid comme toujours, qui n'est assurément pas aussi somptueux que celui de Konya, ni mâle comme celui de Thomas ou ému comme celui de Windgassen (toujours pour s'en tenir aux contemporains). L'ensemble a pourtant de la noblesse et du caractère. L'art de l'allègement est incontestable (les piani sont propres, le récit du Graal est même leçon sur ce plan), cependant on n'a là ni la garantie d'une justesse absolue et permanente, ni celle d'une poésie infinie (les retrouvailles avec le cygne sont seulement marquées rythmiquement, pas émues). Mais pour ce chanteur si peu appréciable, c'est ici un éclairage nouveau, même si on reste loin des versions de référence. L'acte II débute magistralement avec le couple Nöcker/Varnay, grandiose : lui noir, excessif, avec du chien, de la morgue, même s'il a un peu tendance à aboyer ; elle (déjà formidablement documentée) vipérine, autoritaire, cinglante, historique une fois de plus, et en assez bonne voix en matière d'aigus - Kna dirigeant pour elle noir et emporté, c'est vertigineux. À la scène du balcon, une phénoménale invocation aux dieux laisse pantois. Mais les imprécations du III la montreront fatiguée et plafonnant plus dans l'aigu. Le Héraut de Metternich et le Roi du vétéran Böhme montrent, avec leur usure audible, ce sens des bons et loyaux services qui est aux troupiers, comme les chœurs, hélas très inférieurs à ceux de Bayreuth en matière de cohésion sonore, de précision et de justesse.
Au bilan, voici un témoin informatif, pour un Fafner de la discographie qui voudra tout avoir, mais en rien une nécessité, non plus qu'une première approche de l'œuvre.
P.F.