Si, au-delà de son parcours, certaines de ses options esthétiques incitent à rapprocher Gordon Crosse, né en 1937, de son aîné de quelques années Harrison Birtwistle, sa musique suggère de façon plus apparente une filiation avec Benjamin Britten. C'est d'abord The Turn of the Screw qui vient à l'esprit, arrière-plan surnaturel aidant, à l'écoute de ce Purgatory (1966), court opéra d'une quarantaine de minutes d'un seul tenant, même si d'autres caractéristiques de l'univers brittenien y trouvent un écho, parmi lesquelles la vocalité n'est pas la moindre. Le compositeur a rédigé lui-même son livret, qui altère assez peu la pièce éponyme de W. B. Yeats. Un « Vieil homme » raconte à un « Garçon », son fils, comment son grand-père, un simple valet, avait déclenché, par le fait même de son mariage, la chute de la famille noble dont était issue sa grand-mère. Le fils, que ce récit laisse de marbre, représente face à son père le conflit du monde réel et du rêve, mais aussi de deux conceptions de la société. Ce resserrement du drame sur deux personnages fonctionne chez Yeats, mais est moins probant sur une scène lyrique. La limitation des voix solistes à un ténor - Peter Bodenham, dont on serait tenté de qualifier le timbre très clair et précisément défini de typiquement « britannique », excusez le truisme -, et à un baryton - Glenville Hargreaves, que son aisance dans le registre aigu rapproche par moments d'une couleur de ténor - est en soit discutable, même si elle est partiellement compensée par le chœur (très joli) du Royal Northern College of Music. Plus gênante, la quasi-absence de dynamique dramaturgique, qu'accentue le rôle assez peu développé, y compris musicalement, du Garçon, fige l'ensemble de l'opéra dans une certaine froideur. Le potentiel scénique est pourtant patent dès l'évocation prémonitoire du Purgatoire et des âmes vouées à endurer la répétition éternelle de leurs péchés : le père, se sentant menacé par son fils âgé de seize ans - l'âge même auquel il avait assassiné son propre père ivrogne - lorsque celui-ci essaie de lui arracher quelque menue monnaie, le tue avec avec le même couteau qui avait été l'outil du parricide. Davantage que ce climax, c'est finalement la berceuse finale (« Study that tree »), dont on comprend qu'elle est adressée à la mère plutôt qu'au fils, qui constitue, avec le soutien d'un chœur très planant et onirique, le climax expressif de l'ouvrage.
Reste une musique très bien faite : des lignes vocales sobres mais fluides, ponctuellement doublées par les parties instrumentales, et un orchestre nourri par un matériau semi-atonal, coloré par force gammes par tons et procédés de polarisation du discours. L'instrumentation dépourvue de gras et riche en cuivres et percussions rappelle celle du Birtwistle des mêmes années autant que celle de Stravinsky. Cet opéra condensé, sur lequel une mise en scène inspirée pourrait probablement agir comme exhausteur de saveur dramaturgique, est plutôt à prendre au disque comme une cantate dramatique.
P.R.