Raphaël Romagnoni (Obéron), Constantina Araujo (Rézia), George Noré (Huon), Denise Duval (Fatime), Pierre Germain (Chérasmin), Rita Gorr (Puck). Orch. du Théâtre national de l'Opéra de Paris, dir. André Cluytens (1955).
CD Malibran MR 790. Distr. Malibran.

 

Voici à coup sûr un document précieux pour les collectionneurs. Il s'adressera certes aux passionnés de chant français et aux amateurs d'histoire de l'Opéra de Paris davantage qu'aux amoureux de Weber, mais il ne s'agit pas moins d'un témoignage majeur sur une des riches heures du Palais Garnier. Pour accentuer ce délicieux côté vintage, on a conservé les annonces formidablement surannées de la Radiodiffusion, avec ce ton pointu et guindé typique de l'époque. L'administration de Maurice Lehmann tenta de redonner du lustre à la Grande Boutique après-guerre en misant sur de grands spectacles à machines : mises en scène par le maître de céans, Les Indes galantes en furent un fer de lance, mais il ne faut pas oublier pour autant cette mise au répertoire de l'opéra féerique de Weber, prétexte à des décors fastueux de Jean-Denis Malclès. C'est la reprise de 1955 de cette production datant de 1954 qui est immortalisée ici.

Il faut d'abord oublier tout purisme : ni opéra romantique allemand, ni semi-opera à l'anglaise - les deux visages possibles de cet ouvrage hybride composé pour Londres -, Obéron devient ici un mélange d'opéra-ballet et d'opéra-comique français. On chante dans la langue de Molière, Chérasmin (Pierre Germain) parle avec l'accent du midi comme un valet de comédie (c'est du dernier ridicule...), et ce bon vieux Henri Büsser a goupillé une édition de son cru en ajoutant des ballets et en bidouillant à tour de bras. Il y a là un intérêt documentaire majeur, réminiscence de l'époque où, loin du purisme actuel et du dogme de la fidélité à l'original, on retouchait textes et partitions pour les adapter aux attentes et à l'esthétique de chaque pays.

Autre mérite historique : donner une photographie de ce qu'était la troupe de l'Opéra à l'époque. Georges Noré est un Chevalier Hüon de magnifique tenue, vrai fort ténor à la française que certains considérèrent alors comme un successeur possible pour Georges Thill. L'autre ténor, Raphaël Romagnoni, voix plus légère, est un Obéron savoureux mais manquant de noblesse. Surprises dans les seconds rôles, avec Denise Duval à son plus acidulé en Fatime, il est vrai un rôle de mezzo, la voix glorieuse de Rita Gorr dans les trop rares interventions de Puck (on en redemande !), la délicatesse de Martha Angelici, un luxe en Naïade, sans parler de Paul Finel ou du tout jeune Alain Vanzo dans des apparitions. La déception vient de la Rézia de la Brésilienne Constantina Araujo, que l'obligation de chanter en français rend très mal à l'aise et fait passer à côté de la grandeur et de la dignité du rôle : quel dommage que ce ne soit pas Régine Crespin ou Suzanne Sarrocca, qui chantèrent aussi le rôle dans cette production.

Mais le grand atout de cet Obéron, à l'époque comme à travers le disque, c'est la direction d'André Cluytens. Un an avant ses débuts à Bayreuth, le grand chef franco-belge familier du romantisme allemand respecte quant à lui totalement le style webérien, rendant justice aussi bien à sa subtilité d'orchestration qu'à son élégance naturelle, aux atmosphères féeriques qu'aux accents héroïques, avec un bras toujours sûr et jamais trop lourd. Avec lui, l'Orchestre de l'Opéra montre quelle formation d'élite il savait être quand une grande baguette le conduisait, la qualité de ses solistes se manifestant à chaque intervention du cor solo Lucien Thévet ou de l'alto solo Pierre Laduie. Et l'on est une fois de plus frappé par le style de jeu très caractéristique de l'époque, très français, et ce dès les toutes premières mesures de l'ouverture, avec ce vibrato du cor qui allait définitivement disparaître douze ans plus tard à la création de l'Orchestre de Paris. Décidément le beau reflet d'une époque révolue.

C.M.