CD Naxos 8.660353. Distr. Outhere.
Depuis sa fondation en 1995 par le chef Ryan Brown, la troupe Opera Lafayette, sise à Washington, explore principalement le répertoire français du XVIIIe siècle en interprétant sur instruments d'époque la musique de Rameau, Philidor, Monsigny, Grétry, Rebel, Francœur... La compagnie obtient sa reconnaissance internationale en 2012 lorsqu'elle donne à l'Opéra royal de Versailles Le Roi et le Fermier de Monsigny, suivi deux ans plus tard d'une version française de Così fan tutte présentée en alternance avec l'opéra-comique Les Femmes vengées de Philidor. Ce programme réunissait les mêmes chanteurs dans les mêmes décors afin de mettre en évidence la parenté de deux intrigues où six personnages se livrent à un chassé-croisé amoureux assez semblable. Quinze ans avant Mozart et Da Ponte, c'est toutefois le point de vue féminin qu'adoptent Philidor et son librettiste Sedaine, qui font la « démonstration » de l'inconstance masculine. Créé à l'Hôtel de Bourgogne en 1775, l'ouvrage pourrait en effet s'intituler Ainsi font-ils tous, puisque son intrigue, inspirée du conte en vers Les Rémois de La Fontaine, montre comment, grâce à leur sagacité, trois amies utilisent la ruse pour percer à jour les velléités d'infidélité de leurs benêts de maris. Si les proportions de l'œuvre sont beaucoup plus modestes que chez Mozart, la partition n'en compte pas moins seize numéros totalisant un peu plus d'une heure de musique où alternent solos et ensembles d'une belle invention mélodique et réservant une part non négligeable à la virtuosité. L'œuvre connut un succès plus qu'honorable, puisque l'Opéra-Comique la maintint à son répertoire jusqu'en 1820.
Enregistré quelques jours avant les représentations versaillaises, ce disque met en vedette la soprano Claire Debono, dont la voix agile et parfaitement homogène convient bien aux exigences vocales de Madame Riss, la meneuse de jeu. Un brin d'affectation, voire de préciosité, nuit cependant à la spontanéité du personnage. En dépit de quelques notes stridentes, Pascale Beaudin éblouit dans son air périlleux (« De la coquette volage »), tandis que Blandine Staskiewicz campe une Madame Lek envoûtante grâce à son timbre opulent de mezzo-soprano. Face à ces joyeuses commères, les hommes paraissent un peu falots et éprouvent quelques difficultés vocales, à l'exception notable du Président d'Antonio Figueroa, dont la diction et le style sont un modèle de bon goût. Ryan Brown et ses 26 musiciens, passés maîtres dans ce type d'ouvrages de la seconde moitié du XVIIIe siècle, proposent une lecture attentive à faire ressortir une orchestration très soignée qui met en valeur les bois, et plus particulièrement le basson. Absents du CD, les dialogues se retrouvent dans le livret que l'on peut télécharger sur le site de Naxos. Avec ce onzième enregistrement, Opera Lafayette confirme une nouvelle fois son rôle essentiel dans la redécouverte d'un pan injustement négligé de l'histoire musicale de la fin de l'Ancien Régime.
L.B.