Judith Van Wanroij (Lydie, Plautine), Katia Velletaz (Une bergère, Une bacchante, Junie), Chantal Santon-Jeffery (Arsine, Erigone, la Gloire), Mathias Vidal (Apollon, Bacchus, Trajan), Alain Buet (l'Envie, Bélus, le Grand-Prêtre), Les Agrémens, dir. Guy Van Waas (2014).
CD Ricercar RIC 363. Notice en français. Distr. Outhere.

 

Voici un Temple qui n'ajoutera rien à la... gloire de Voltaire. Unique exemple conservé de la houleuse collaboration entre Voltaire et Rameau (dont le Samson a disparu ou essaimé au sein d'autres partitions), cette « fête théâtrale » ou « ballet héroïque » en un prologue et trois entrées offre le plus piteux livret que le compositeur ait eu à mettre en musique ! Comme dans un jeu télévisé du genre Maillon faible ou Fort Boyard, ledit Temple se ferme au nez des « concurrents » malheureux (les divinités Baal et Bacchus), pour ne s'ouvrir que devant l'empereur Trajan, qui a fait preuve d'autant de clémence que de vaillance, et se lance donc illico dans une ariette ornithologique... Le texte est creux, languissant, vide d'action, mais Rameau, qui se flattait de pouvoir mettre en musique n'importe quelle feuille de chou, n'en a cure, relevant ce Te Deum profane (composé pour fêter la victoire de Fontenoy, en 1745) des plus brillantes couleurs : à la trépidante Ouverture, qui fait jouer tous les instruments dans leur registre le plus sonnant, répond la vaste Chaconne finale, incluant airs et chœurs (et cors !) ; aux bergeries un peu mièvres de la Première Entrée répondent les roboratives bacchanales de la Seconde ; aux divers récits accompagnés, deux magnifiques arias pour soprano, tandis que le Prologue confronte les serpents de l'Envie aux éclats d'Apollon avec une verve irrésistible.

Au fil de ses enregistrements d'opéras français (Grétry, Gossec, Dauvergne), Van Waas a gagné en expressivité : sa direction pleine d'enthousiasme sert parfaitement cet ouvrage pompeux et séduisant. Si les récitatifs pourraient être encore plus flexibles, on admire la façon dont les danses et symphonies s'enchaînent aux "scènes" pour en élargir la portée. La distribution vocale rassemble des familiers de ce répertoire, tous au mieux de leur forme : même si l'on continue à déplorer les aigus trop ouverts et appuyés de Vidal, la clarté de son timbre et de sa diction font merveille dans les airs écrits pour Jélyotte (créateur du rôle de Platée), Buet campe une Envie pleine de venin et, surtout, Van Wanroij déclame avec une intense noblesse les monologues de Lydie et Plautine (parties conçues pour Mademoiselle Chevalier, première Erinice de Zoroastre). Enfin, bien qu'il soit enregistré de trop loin et confiné au fond de l'espace sonore, le Chœur de Namur s'avère remarquable, de timbres comme de transparence, dans les redoutables pages qui lui sont réservées. Un bel apport au deux cent cinquantième anniversaire de la mort de Rameau, qui détrône sans conteste l'ancienne version Malgoire (CBS, 1981, jamais rééditée en CD).  

O.R.