Zeljko Lucic (Macbeth), Anna Netrebko (Lady Macbeth), René Pape (Banco), Joseph Calleja (Macduff), Noah Baetge (Malcolm), Ch. et Orch. du Metropolitan Opera, dir. Fabio Luisi, mise en scène : Adrian Noble (New York, 11 octobre 2014).
DVD DG 00440 073 5322. Distr. Universal.

 

Dans notre vidéographie de Macbeth (L'ASO n° 249) nous tenions pour référence la production d'Adrian Noble, captée quelques mois après sa création en octobre 2007 au Metropolitan Opera (DVD EMI). Aiguisant son univers moderne de terreur quotidienne sans pour autant perdre la noirceur fantastique de son sujet, la régie du shakespearien Noble (scénographiée par Mark Thompson) est en effet aussi efficace qu'éloquente et expressive, et magnifiée par les éclairages de Jean Kalman. Manque peut-être un rien de folie ou de singularité (la vision d'un Macbeth « moderne » selon Tcherniakov est, par exemple, autrement surprenante), mais la lisibilité et la justesse des atmosphères sont indéniables.

Sept ans plus tard, un nouveau DVD la documente, conservant l'interprète du rôle-titre mais renouvelant tout autour de lui, à commencer par la direction musicale.. Le Génois Fabio Luisi, chef principal du Metropolitan Opera depuis 2011, affirme un sens des tempi, du nerf et des enchaînements, à la fois électrique et maîtrisé. En 2007 Lady Macbeth était Maria Guleghina : une maturité aux failles réelles mais transformées en reliefs expressifs. En 2014 la production affiche la Lady Macbeth d'Anna Netrebko, aussi blonde qu'elle était rousse à Munich quelques mois auparavant lors de sa prise de rôle - et dans les deux cas, tout aussi sexy. Son timbre voluptueux ne correspond certes pas aux laideurs étouffées que Verdi voulait à sa Lady ; mais dès son « Ambizioso spirto tu sei, Macbetto », la Russo-Autrichienne déploie crânement un soprano élargi, du bas-médium généreusement arrondi (même si le grave, lui, manque de tranchant) aux aigus souverains - bref, le lirico s'est coloré de spinto et la trempe de l'interprète compense la placidité du matériau. On aura beau jeu de regretter une vocalisation bâclée (« Or tutti sorgete » !), et un sens dramatique très « L'ai-je bien descendu ? » plutôt que vraiment senti : une Lady s'impose (puis se désagrège dans un Somnambulisme fort bien mené), sûre de son pouvoir sur son époux... et sur le spectateur. Dont acte. Son Macbeth (Zeljko Lucic, déjà présent dans la première captation) se situe aux antipodes de ce chant offert plus que réfléchi : voix sans beauté particulière, jeu en creux, mais une telle habitude du personnage que le Cawdor dépasse l'interprète, servi par cette qualité de passe-muraille que possède Lucic, propre à dessiner un usurpateur frappé par le destin et manipulé par sa femme - même ses instabilités d'intonation semblent à propos... Magistral Banco de René Pape - son chant conjugue une dignité royale et une profondeur de timbre préfigurant la tragédie qui approche - et Macduff de haute école de Joseph Calleja, dont la vérité expressive n'enlève rien au style châtié. Avec ce nouveau millésime aux qualités si équilibrées de musique et de théâtre, on a trouvé son Macbeth de garde.

C.C.