CD Erato. Notice en français. Distr. Warner Music.
Ravissante, inclassable Partenope ! Après la première dissolution de son Academy, en 1728, qui voit ses meilleurs chanteurs (Senesino, Cuzzoni, Faustina) l'abandonner, Haendel se rend en Italie pour recruter une autre troupe. Dans la foulée, il infléchit son style : abandonnant les sujets pseudo-historiques, il se tourne vers un drame où prime encore la galanterie perverse du style vénitien. Bien que Silvio Stampiglia soit considéré comme l'un des premiers « réformateurs » du livret d'opéra (la répartition entre récits et airs devient chez lui presque canonique), il privilégie, dans sa Partenope écrite à la toute fin du XVIIe siècle (et notamment magnifiée par Vinci puis Vivaldi), une trame riche en marivaudages, où les batailles - spectaculaires ! - ne servent que d'apparat aux conflits érotiques. Déguisée en homme, Rosmira s'introduit à la cour de sa rivale Partenope et feint d'en être épris(e), jusqu'à défier en duel son propre amant, l'infidèle Arsace ! Pour ces piquantes « liaisons dangereuses », Haendel a composé l'une de ses partitions les plus ciselées, les plus riches (32 airs, un trio, un quatuor, deux duettinos !), confiant à ses nouvelles stars (Strada/Partenope et Bernacchi/Arsace) des morceaux à l'affriolante ornementation et à l'instrumentation pastel (« Dimmi pietoso ciel »).
Kuijken nous en avait offert en 1979 une première intégrale toujours recommandable, ses successeurs au disque (Curnyn) ou en DVD (Mortensen) faisant pâle figure. Minasi, qui poursuit chez Erato un corpus haendélien débuté chez Naïve, aurait pu s'imposer par la grâce d'une distribution a priori plus brillante que toutes les précédentes. Par exemple, il est certain que Gauvin possède un timbre plus sensuel que celui, assez « abstrait », de Laki chez Kuijken : mais si elle rend davantage justice au caractère charnel de Partenope, lui échappe cette inconséquence glacée, cette distance ironique qui distingue ce rôle des autres héroïnes haendéliennes. Pour la première fois depuis longtemps, Jaroussky déçoit : non pas d'un point de vue technique (même si lui manquent les graves d'« E figlio il mio timor ») mais par sa fadeur, son refus de rendre la morgue de ce fat d'Arsace, que René Jacobs, plus discutable stylistiquement, faisait parfaitement sentir. Si Ainsley, impérial dans le rôle hérissé de difficultés d'Emilio, égale Hill et si Tittoto campe un Ormonte sans reproche, Iervolino, contralto nouvelle venue dans le « sérail baroque », ne convainc qu'à moitié : le timbre est profond, mais coincé dans le pharynx, ce qui lui rend malaisées les vocalises d'« Un'altra volta ancora ». Enfin, le rôle d'Armindo se voit ici transposé pour soprano, sur la foi d'une version tardive de l'ouvrage (qui nous vaut une belle sicilienne supplémentaire pour le rôle et, en appendice, un nouvel air final pour Arsace). Pourquoi pas ? d'autant que Barath chante à ravir - mais il aurait fallu rendre cette transposition cohérente et éviter certains hiatus de registres (scène 4 de l'acte I). Comme dans son précédent Tamerlano, on sent Minasi hésitant, trop prudent au premier acte, aux récitatifs pesants, aux tempi uniformes (à la trappe, la liesse débordante de « Sei mia gioia »), puis tenté par de bizarres maniérismes (que penser du caractère primesautier conféré au trio « Un cor infidele » à force d'importuns pizzicati ?). En somme, même si les glorieux morceaux de chant s'enchaînent sans répit, le ton aigre-doux de l'œuvre ne semble pas avoir été trouvé et la lecture au scalpel de Kuijken, a priori moins expressive, conserve notre préférence.
O.R.