Sophie Bevan (Ninetta), Jonathan Lemalu (Fernando Villabella), Federico Sacchi (Fabrizio Vingradito), Katarina Leoson (Lucia), Francisco Brito (Giannetto), Kihwan Sim (Gottardo, le Podestà), Alexandra Kadurina (Pippo), Nicky Spence (Isacco), Michael McCown (Antonio), Iuri Samoilov (Giorgio), Chœur de l'Opéra de Francfort, Orchestre du Musée et de l'Opéra de Francfort, dir. Henrik Nanasi (live, Francfort 2014).
CD Oehms Classics OC 961. Distr. Outhere.

 

Qui aurait imaginé il y a une trentaine d'années, alors qu'Alberto Zedda en réalisait l'édition critique et la première version discographique (Italia, 1979), que paraîtraient à quelques mois de distance deux intégrales d'excellent niveau de La gazza ladra, un opéra assez rare sur les scènes et plutôt méconnu, à part des spécialistes de Rossini ?

Succédant à celui de Bad Wildbad, de nouveau dirigé par Alberto Zedda et paru chez Naxos (lire ici), ce nouvel enregistrement nous semble par bien des aspects surenchérir sur la réussite de son prédécesseur et même la dépasser. Il est vrai que, basé sur une série de représentations, il est à même de restituer à l'œuvre cette vérité dramatique qu'une simple version de concert ne peut communiquer. La tension de la représentation est prégnante d'un bout à l'autre et doit tout à l'efficacité de la direction contrastée d'Henrik Nanasi qui, à la tête du brillant orchestre de l'Opéra de Francfort, gère la montée en puissance du drame avec la maestria d'un grand chef. Sa baguette porte à un niveau rare d'engagement un plateau vocal très homogène constitué essentiellement de jeunes talents émergents dont se détachent quelques éléments remarquables et très prometteurs.

La Ninetta de Sophie Bevan rappelle par la couleur de son timbre de lyrique-léger et son médium chaleureux la jeune Cecilia Gasdia dont elle a aussi les aigus parfois un peu droits. Elle se révèle extrêmement émouvante, sans aucune mièvrerie dans le rôle mélodramatique de la servante accusée de vol. Si Francisco Brito ne paraît pas tout à fait maîtriser la tessiture très tendue de Giannetto, particulièrement dans son air d'entrée, on peut augurer de son style impeccable et de son agréable timbre de ténor léger hispanique qu'il est en passe de devenir un Rossinien de premier plan. Le vibrato de Jonathan Lemalu peut sembler un peu large pour un rôle de baryton-basse comme Fernando écrit pour Filippo Galli, mais il communique à la figure paternelle tout le pathos voulu. Avec son timbre sombre et sa facilité dans la vocalise, le Coréen Kihwan Sim paraît prédestiné au répertoire rossinien. Il impressionne par son autorité dans le rôle du podestat et il ne lui reste qu'à polir son émission et trouver quelques nuances dynamiques supplémentaires. Remarquablement caractérisés, l'ensemble des petits rôles - et ils sont nombreux - contribue à la réussite de cette grande architecture, avec une mention particulière pour la Lucia à la voix somptueuse de la mezzo suédoise Katarina Leoson. A part le Pippo d'Alexandra Kadurina, la distribution paraît très supérieure à celle d'Alberto Zedda, notamment du côté masculin.

À l'instar de celle du chef italien, la version se permet quelques coupures, essentiellement dans les récitatifs secs. Ils ramènent la durée de l'œuvre à un peu moins de trois heures et en renforcent la cohérence et l'impact dramatique. On regrette à la vue des photos qui illustrent le livret que la production apparemment très originale de David Alden n'ait pas fait l'objet d'une captation vidéo. Elle aurait à coup sûr renforcé encore la crédibilité d'une œuvre qui, de sa première résurrection à la belle production de Pesaro en 2006, semble suffisamment avoir fait la preuve de sa validité pour prétendre à un retour au répertoire.

A.C.