Deutsche Grammophon 4795340. Distr. Universal.
Commandé par le Festival International de Manchester et créé au Palace Theater le 10 juillet 2009, voici donc le premier opéra de Rufus Wainwright. La critique bien-pensante l'a soigneusement étrillé, ne manquant pas d'en railler et l'argument et la musique, ce que nous ne ferons pas. Peu importe que Wainwright reprenne son orchestre là où Poulenc l'avait laissé, il l'écrit avec beaucoup d'art. Peu importe aussi que son langage soit consonant, si proche de celui de Menotti, et que sa prosodie soit parfois mystérieuse - il est pourtant canadien et parfaitement bilingue, son métier de chanteur aurait dû l'y aider. Et il importe encore moins que l'argument de ces deux actes tienne tout entier dans une romance (qui se concrétise par un fugitif baiser à la fin du premier) entre une diva s'apprêtant à revenir sur scène (elle y renoncera) et un critique regrettant de ne pas avoir persévéré dans sa voie/x de ténor. Car l'œuvre s'écoute, assez onirique, se piquant parfois d'un rien d'ironie, et surtout elle émeut, qualité que l'on ne rencontre plus guère dans la production contemporaine. L'acceptation de l'échec, du vieillissement, du renoncement permettent à Wainwright d'écrire un deuxième acte envoûtant où Régine Saint Laurent se confronte aux fantômes du passé et à son propre fantôme de cantatrice. Tout cela est bien vu, subtilement écrit, très sensible, et montre à l'œuvre non seulement un métier trempé mais aussi une réelle inspiration qui hésite entre l'opéra et le musical, cette oscillation constante étant réglée avec art au point de produire un vrai style jusque dans les citations : le majordome de la Diva a un petit côté Michonnet assez irrésistible, la grande scène entre Régine et André à l'acte I moque avec brio la conversation en musique chère à Richard Strauss, et les grands monologues de la soprano semblent la montrer se regardant dans le même miroir que celui de la Marschallin. Entrant dans le studio historique Maida Vale de la BBC, les chanteurs de la création y transportent l'esprit de la scène, Jayce Ogren leur dressant un prégnant décor sonore où les pupitres du BBC Symphony Orchestra trouvent le ton juste et surtout la pulsation relativement complexe d'une musique qui se pense autant comme un théâtre que comme une vaste symphonie. Pourquoi moquer une partition aussi savante, aussi élégante ? Parce qu'elle aura coulé de la plume d'un chanteur de pop music ? Non, elle montre au contraire une nouvelle facette d'un artiste inspiré qui devra revenir à l'opéra, ne serait-ce que pour y confirmer son talent.
J.-C.H.