Helena Juntunen (Anna Liisa), Jorma Hynninen (Kortesuo), Tanja Kauppinen (Riikka), Ville Rusanen (Mikko), Sanna Kurki-Suonio (Husso), Juha Hostikka (Johannes), Anu Hostikka (Pirkko), Jouni Kokkora (le Vicaire, Rovasti), Tapiola Sinfonietta, Helsinki Chamber Choir, dir. Jan Söderblom (2014).
CD Ondine ODE 1254-2D. Distr. Outhere.

 

L'opéra finlandais est fortement dominé par deux noms : Einojuhani Rautavaara et Aulis Sallinen. Dans le sillage de Kaija Saariaho, qui a porté la génération suivante sur le devant de la scène opératique, son cadet Veli-Matti Puumala semble prêt, avec sa première contribution à un genre qu'il avait jusque là regardé à distance, à prendre lui aussi la relève.

C'est après une longue gestation et quelques complications qu'Anna Liisa, dont le livret a été adapté par le compositeur et son épouse d'un « classique » de la littérature finlandaise de Minna Canth, fut créé à Helsinki en 2008. Abandonnée par Mikko, l'homme dont elle attend un enfant, Anna Liisa tue dans un instant d'angoisse extrême le nouveau-né. Obsédée par ce geste, elle tentera néanmoins de commencer une nouvelle vie avec Johannes. À quelques jours du mariage, Mikko refait surface et exige de son ancienne fiancée qu'elle l'épouse, sous peine de révéler son douloureux secret.

Pour incarner cette figure féminine qui assumera finalement de payer au prix fort son émancipation en avouant elle-même en public son infanticide et plaidant coupable, Helena Juntunen a des atouts maîtres : vocalement solide et rayonnante, la soprano travaille aussi la ligne et la phrase avec une grande souplesse, ménageant en outre une belle palette de teintes qui lui permet de rendre crédibles les sentiments complexes qui l'animent. Remarquable sur le versant le plus lyrique de l'écriture de Puumala, elle est plus poignante encore sur des terrains vocaux plus inattendus. La berceuse pour l'enfant mort (I, 5), aussi intense que sobre, le passage diaphane, presque totalement détimbré, chanté après une tentative de noyade évitée de justesse, ou encore le duo mère/fille avec Tanja Kauppinen, où une hymne est psalmodiée dans un dépouillement total, constituent les trois sommets expressifs de l'ouvrage. Au sein d'un cast féminin complémentaire mais homogène, on ne peut que remarquer la présence de la chanteuse folklorique Sanna Kurki-Suonio qui incarne Husso, mère de Mikko, très attachée à l'avantage matériel et social que représenterait le mariage de son fils avec Anna Liisa. L'idée est originale et apporte le contraste d'un timbre assez rocailleux et mat - qui finit cependant pas sembler trop systématique et limiter le spectre expressif du personnage. Parmi les rôles masculins, un duo se détache particulièrement : le baryton Ville Rusanen campe un Mikko très belle prestance, puissant et clair, qui roule les R avec une énergie impressionnante, tandis que Jorma Hynninen - figure presque incontournable de l'opéra d'Helsinki - réussit à souligner la rusticité de Kortesuo, père d'Anna Liisa, sans dénaturer la chaleur de son timbre de baryton. Moins convaincant, le ténor Juha Hostikka force - est-ce un effet voulu ? - les aigus et charge ainsi le personnage de Johannes d'une tension ambiguë.

Veli-Matti Puumala opère une synthèse originale entre un esprit dodécaphonique - l'opéra est fondé sur une série qui offre une possibilité de déduction de matériau sans impliquer la moindre rigidité combinatoire - et un langage plutôt diatonique, parfois orienté vers une coloration modale. Il puise volontiers dans un recueil de chants traditionnels d'Ostrobotnie du sud pour distinguer, à travers le filtre de la stylisation, plusieurs plans stylistiques. On ne sera donc pas surpris d'entendre se côtoyer contrepoint atonal (I, 3), tension expressionniste (I, 4 puis III, 1a), violon dans le style populaire avec cithare (I, 5), écriture orchestrale brillante et acérée qui rappelle le Magnus Lindberg des débuts, allusion à la scène de la douche de Psychose (II, 1), chant pseudo-populaire (II, 3), fête paysanne stylisée et romance (III, 4). Des séquences plus oniriques, en suspens, rappellent L'Amour de loin de Kaija Saariaho. Le Tapiola Sinfonietta est parfaitement dans son élément avec cette écriture instrumentale claire et lumineuse qui favorise les contours nets et les timbres individuels plutôt que la fusion et les enveloppes globales.

La réussite de ce premier opéra, aussi efficace par sa dramaturgie qu'original par sa formulation musicale, fait attendre avec intérêt la prochaine œuvre scénique du compositeur.

P.R.