Owen Brannigan (George Bunting), Johanna Peters (Emma Bunting), Marion Studholme (Daisy), Joseph Ward (le Pensionnaire), Alexander Young (Joe Chandler), BBC Northern Singers & Orchestra, dir. Charles Groves (radio, 2 fév. 1964).
CD Lyrita REAM 2119. Distr. Wyastone.
Compositrice précoce et prolixe, Phyllis Tate (1911-1987) aimait se jouer des styles et de leur hiérarchie, et explorer la matière sonore de l'orchestre (où elle avait officié comme timbalière). Avec The Lady of Shalott (1956), version pour ténor, alto, deux pianos, célesta et neuf percussions du poème de Tennyson, son opéra The Lodger (1960) est sans doute son œuvre la plus aboutie.
Le livret de David Franklin, d'après le roman de Marie Belloc-Lowndes (1914), nous replonge dans le Londres de 1888, quartier de Whitechapel : Jack l'Eventreur est le taiseux pensionnaire (lodger) qu'hébergent les Bunting. Leur fille Daisy ne le croise jamais, pas plus que son amoureux Joe Chandler (un détective au patronyme prédestiné !) ; mais eux ont compris... Le texte est agréablement calibré en solos, duos et ensembles, mention spéciale à un chœur de « fêtards de rue » dont chaque occurrence est radicalement différente de la précédente, tour à tour gueularde, distordue ou évaporée. L'impression d'ensemble est d'ailleurs un étrange hiatus entre l'horreur de fond du sujet, portée par une langue crue ou une musique expressionniste, et une distanciation rêveuse culminant dans un épilogue apaisé. De même la partition séduit-elle de façon clivée : l'orchestre fauve porte le thriller, mais s'assagit sous les passages chantés dont on devine que l'intelligibilité a été une mission primordiale du compositeur.
La version radiophonique captée ici, avec coupes acceptées et narrateur ajouté, nous tient sans doute un peu plus à distance encore, alors que l'originalité du projet tel que la scène devrait le traduire se lit dans les didascalies : un décor en coupe est censé nous faire vivre plusieurs actions simultanées, et le jeu des lumières est un agent explicite du drame. On est néanmoins touché par le Pensionnaire de Joseph Ward, son baryton léger et élégant qui sinue autour du mezzo profond de Johanna Peters - moins par le timbre pincé de Marion Studholme. Et Charles Groves sait alterner les discordances criardes avec les onirismes étranges. L'auditeur curieux ira jeter une oreille à ce Whitechapel tout sauf caricatural.
C.C.