CD Lyrita REAM 2116. Distr. Wyastone.
En collaboration avec la radio nationale britannique et la Musicians Union, le label Lyrita a pour vocation d'éditer les enregistrements privés réalisés par un auditeur passionné de la BBC, Richard Itter, entre 1952 et 1996 (!). Cela nous vaut de redécouvrir tout un pan du répertoire lyrique insulaire, à commencer par cette opérette de Walter Leigh, créée à Manchester en 1933 et qui connut un très grand succès jusqu'à Londres. Sur un livret de V.C. Clinton-Baddeley, l'intrigue de Jolly Roger tient en quelques scènes de genre situées en Jamaïque en 1690 : le méchant gouverneur de Kingston fait enfermer Jolly Roger (dont le nom, en anglais, est aussi celui du pavillon pirate...) en le faisant passer pour le Pirate Sanguinaire, lequel, complice du pouvoir, kidnappe en toute impunité la belle Amelia. En fuite, Jolly Roger empêche in extremis le mariage forcé d'Amelia avec le gouverneur, qui est déposé. Il obtient son poste et retrouve sa bien-aimée.
Tué à Tobrouk en 1942 à l'âge de 37 ans, Leigh s'avère le chaînon essentiel entre Sullivan et le musical, mâtiné d'un savoir-faire certain (une pointe de polytonalité ici, des exercices de style là) que cet élève de Hindemith masque derrière une permanente verve, tantôt entraînante, tantôt sentimentale. De couplets marins en romance élégiaque, de pastiche haendélien en habanera chaloupée, on est plongé dans une dramatique radio soignée (avec bruitages sonores et accents typés) qui n'est pas loin d'un certain cinéma en technicolor - Leigh avait composé de la musique pour film documentaire, et sa façon de hisser la grand-voile orchestrale ou de zoomer ses soli est parfaitement digne d'un film de pirates avec Errol Flynn. Pas de quoi révolutionner l'histoire de l'art lyrique, mais une œuvre de divertissement qui sonne à ravir - sans compter de multiples clins d'œil pour oreilles cultivées (le finale du II est un quizz à lui seul) !
On regrettera l'absence des paroles dans le livret d'accompagnement (qui fournit néanmoins une intéressante notice historique en anglais), mais les anglophones s'y retrouveront tant l'élocution de chacun est intelligible, parlée ou chantée. Il faut dire que les interprètes sont parfaitement dans leur emploi, du soprano de lumière blonde au héros caressant (mi-Fred Astaire, mi-Tino Rossi pour son art de l'aigu flûté !), du gouverneur à la morgue aristocrate jusqu'au pirate grasseyant. Sous la direction fluide d'Ashley Lawrence, à l'instinct sûr, ils sont à l'image de la partition : sans prétention mais sans faiblesse, tout simplement impeccables de qualité et de charme vintage.
C.C.