Stéphane Degout (Pelléas), Elena Tsallagova (Mélisande), Vincent Le Texier (Golaud), Anne Sofie von Otter (Geneviève), Franz Josef Selig (Arkel), Julie Mathevet (Yniold). Chœurs et Orchestre de l'Opéra National de Paris, dir. Philippe Jordan, mise en scène : Robert Wilson (Paris 2012).
DVD Naïve DR 2159 EDV 1057. Distr. Naïve.
On discutera, selon ses goûts personnels, la production de Bob Wilson, parfaitement emblématique des réalisations du metteur en scène américain : décors abstraits mais puissamment évocateurs, ambiances lumineuses proprement magiques par leur pure beauté, gestique et chorégraphie des corps d'un maniérisme qui n'est qu'à lui pour un discours qui ne raconte pas mais exprime des tensions, des émotions... On aime ou on déteste, c'est selon. Pour qui ne prise pas les Pelléas naturalistes, on certifiera que ce côté Mystère à l'esthétisme forcené colle si parfaitement à l'atmosphère du drame de Maeterlinck - et plus encore à celle de la partition de Debussy - qu'on en reçoit une émotion esthétique continue. La vérité des sentiments, en salle, semblait quelque peu ailleurs, comme occultée par la chorégraphie wilsonnienne. La captation de Philippe Béziat, qui saisit de près les expressions des visages autant que les densités géométriques du cadre de scène, permet d'y trouver ce qui manquait en présence, en magnétisme, en vérité du chant.
La distribution, pour ce qui était une 3e reprise, est, qui plus est, magnifique ; on regrettera bien entendu de n'y point retrouver, comme à l'origine de la production à Paris, à Salzbourg, le Golaud historique de van Dam, heureusement capté ailleurs à Lyon chez Strosser. Celui de Vincent Le Texier, plus fruste, plus brut, n'en est pas moins imposant par sa présence, son humanité et sa grande douleur. Les deux rôles-titres semblent proches de l'idéal : l'étrangeté de Mélisande sied parfaitement à Elena Tsallagova, à son côté à la fois diaphane et solide et à sa voix délicate et forte à la fois. Quant au Pelléas de Stéphane Degout, il possède, en matière de lumière, de délicatesse et, peu à peu, d'enthousiasme, les caractères parfaits du personnage et la voix du rôle. Si Anne Sofie von Otter est une Geneviève de luxe, Franz Josef Selig n'a pas les perfections du mot qu'on attendrait à ce niveau et en cette œuvre, mais cela ajoute à l'étrangeté des personnages du conte. Quant à la direction de Philippe Jordan, elle est d'une beauté parfaite, équilibrant les tendances historiques d'une œuvre qui n'est pas si unitaire qu'on le dit avec un art absolu de la touche orchestrale, entre post-wagnérisme sous-jacent et impressionnisme envahissant. Sa battue est dramatique par ses tensions, poétique par ses moires, et s'impose par sa richesse sonore comme le partait contrepoint des ascèses visuelles de Wilson.
Une superbe version, qui s'impose au meilleur d'une vidéographie déjà riche (voir L'ASO n° 266). Seul bémol : quelques étonnantes distorsions dans les forte, qui sont sans doute le fait de l'édition DVD et non de la bande originale, mais qu'on a retrouvées sur plusieurs exemplaires différents.
P.F.