DVD Ondine ODV 4010. 2015. Distr. Outhere.
Un peu moins prolixe que son aîné Einojuhani Rautavaara, Aulis Sallinen a cependant écrit lui aussi beaucoup d'opéras. Pour le sixième - et le dernier à ce jour bien qu'achevé en 1999 -, le compositeur finlandais s'est tourné vers la tragédie shakespearienne. Après le projet verdien resté au stade du livret, King Lear n'a que très rarement été porté sur les scènes d'opéra, et c'est donc au monument de son contemporain Aribert Reimann que se mesure inévitablement Sallinen. Conçu par le compositeur à partir de la traduction de Matti Rossi et rédigé en finnois, le livret propose un traitement plus lyrique du drame, là où Claus Henneberg soulignait davantage le cynisme des personnages de Regan, Goneril et Edmund. La matière orchestrale, opulente, de l'opéra de Sallinen est assurément scandinave, et si l'on y détecte sans peine l'influence de Sibelius, elle s'étend aussi jusqu'à la stylisation de musique populaire, notamment dans les scènes burlesques souvent liées au Fou et à « poor Tom », avatar travesti d'Edgar. Le combat final est assorti d'une musique de cuivres très énergique qui rappelle plutôt Stravinsky. En revanche, lors du dernier air de Cordelia (sc. 10) - lequel, comme chez Reimann, constitue le climax émotionnel de l'œuvre -, c'est une grande vague post-mahlérienne qui nous emporte, rendue particulièrement vibrante par l'Orchestre de l'Opéra national de Finlande. Après la mort de Cordelia, le discours se fait plus sobre et fait dialoguer Lear (Matti Salminen, particulièrement poignant) avec un violoncelle solo, instrument associé à la seule fille sincèrement aimante du monarque déchu.
Dans un contexte de tonalité élargie, où les colorations modales ne sont pas rares, l'écriture vocale reste toujours souple et fluide, laissant aux chanteurs le loisir de faire valoir leur sens de la conduite mélodique. Tout en rendant parfaitement haïssable l'intrigante Goneril, Taina Piira met sa voix puissante et sûre au service d'un remarquable élan musical autant que scénique. Tout aussi convaincante, Satu Vihavainen est parfois cependant acculée à une certaine tension dans l'aigu. Tant par sa présence scénique que par l'ampleur de sa projection vocale, Matti Salminen campe un roi charismatique jusque dans sa chute. Confier au baryton Jorma Hynninen, qui brillait dans La Ligne rouge, le second rôle est un peu le sous-employer, mais c'est aussi donner un magnifique cachet au personnage de Gloucester. Bien que respectivement baryton et ténor, Sauli Tiilikainen et Jorma Silvasti sont assez proches par leurs timbres. Les demi-frères Edgar et Edmund conservent ainsi un air de famille - l'un étant rendu, en tant que traître, beaucoup plus caustique par une vocalité plus acérée, tandis que l'autre, réduit à la clandestinité, s'exprime de façon plus pondérée et codifiée. Une écriture chorale très pleine et joliment restituée et une mise en scène quelque peu prosaïque mais parfaitement efficace achèvent de rendre très respectable cette production, qui cependant ne détrône pas le précédent Lear de Reimann.
P.R.