DVD Opus Arte OA 1103D. Distr Codaex.
Comme Graham Vick pour son spectacle de Bastille, Richard Jones transpose l'action de la nouvelle de Crabbe à notre époque : décor hideux - triste surtout -, façade d'immeuble anonyme, église réduite à un cabanon et, le plus étonnant de tout, l'auberge d'Auntie, container instable que la tempête fait tanguer. éclairages crus, blafards, costumes en couleurs vulgaires, omniprésence des habitants d'un bourg où la violence peine à se contenir. Dans cette mêlée étrange, Peter Grimes passe indifférent même à Ellen - solitaire, perdu dès le début. Meurtrier ? Oui, absolument, mais comme tous les autres. Il faut voir comment Richard Jones va amener son pêcheur à disparaître, discrètement, en sortant par la fenêtre de la salle communale, échappé enfin une bonne fois pour toutes.
De John Graham-Hall et de sa voix détruite qui brûle ici ses dernières cartouches, il extrait avant tout la puissance d'une incarnation dramatique assez inouïe : on voit littéralement tout au long du spectacle son visage se creuser, ses yeux se perdre. à la fin, ce n'est plus seulement la voix qui lui manquera mais lui-même, son corps, sa présence. Il n'est plus là à compter du moment où il a remonté le cadavre de l'enfant tombé de la falaise.
Le spectacle envoûte au-delà de sa laideur, il découvre tout le théâtre humain que Britten voulait justement montrer si crûment, même si Jones prends quelques moments de relative détente - ainsi sa régie très chorégraphiée de toute la scène chez Auntie, une bluffante Felicity Palmer, amère, désabusée, attentive pourtant, où les agaceries des deux Nièces semblent vraiment copiées sur celles déjà imaginées par Graham Vick.
Balstrode froid et pourtant miséricordieux de Christopher Purves, Ellen Orford un rien compassée - Susan Gritton ne fait oublier ni Harper, ni Lott ni surtout Chilcott -, Mrs Sadley en retrait de Catherine Wyn-Rogers - surtout pour celui qui se souviendra de Della Jones ! On le voit, l'équipe de chant n'est pas la plus relevée que l'œuvre ait rencontrée, mais l'orchestre aiguisé, virulent, voulu par Robin Ticciati colle tellement au spectacle que cela compense. Et quel spectacle ! C'est à son théâtre sans fard mais aussi sans discours, simple et terrible, que va notre Révérence.
J.-C.H.