Ildebrando D'Arcangelo (Don Giovanni), Tomasz Konieczny (le Commandeur), Lenneke Ruiten (Donna Anna), Andrew Staples (Don Ottavio), Anett Fritsch (Donna Elvira), Luca Pisaroni (Leporello), Valentina Nafornita (Zerlina), Wiener Philharmoniker, dir. Christoph Eschenbach, mise en scène : Sven-Eric Bechtolf (Salzbourg, août 2014).
DVD Unitel Classica 2072738. Distr. Harmonia Mundi.

 

On ne boude pas un Don Giovanni de cette classe. Un hall de grand hôtel (décor de Rolf Glittenberg) sert à Sven-Eric Bechtolf de judicieuse croisée des chemins, qui résout quasiment tous les défis géographiques de l'intrigue : on s'y étreint au seuil des chambres (en mezzanine), on y célèbre des noces dans le lobby, on s'y restaure au bar, on s'y confond dans les recoins, on y improvise une chambre mortuaire VIP... Tout se tient et permet à la fois un microcosme resserré et une variété de perspectives.

Une direction d'acteurs fébrile habite et réchauffe ce grand espace impersonnel, traversé par les désirs d'une troupe de chanteurs à l'harmonie - vocale autant que physique - frappante. Habillés sexy-chic par Marianne Glittenberg (ah, le manteau de python de Giovanni, et les déshabillés féminins qui se succèdent !), tous offrent leur jeunesse et leur plastique conquérante aux ébats et débats de leur personnage. Seul en retrait de ce portrait de groupe, l'Ottavio d'Andrew Staples, sans séduction de timbre (nasal et pincé) ou d'attitude (un costume paramilitaire le dessine tout en raideur), même si infiniment musicien. Mais on ne sait où porter le plus l'oreille (et les yeux) : d'un Commandeur plus jeune et mordant que d'usage (mais joué dur et glaçant, même face à sa fille) au couple délicieusement fruité formé par Masetto et Zerlina, de Donna Anna et son ampleur tranchante, à Donna Elvira et sa générosité lumineuse - deux facettes de la féminité bafouée, l'une refoulée, l'autre passive -, d'un Leporello magistral (Pisaroni est aujourd'hui le nec plus ultra pour le rôle : matériau opulent mais chant précis, et acteur gourmand... qui semble abonné au look « Jerry Lewis », raie sage et grosses montures, ici comme à Baden-Baden en 2013 !) à un Don Giovanni carnassier (D'Arcangelo dévore et le plateau et Mozart, aux dépens parfois de l'aristocratie du personnage ou de sa musique : le torrent du Champagne lui sied mieux que les nuances de la Sérénade, voire la simplicité de « Là ci darem » qui met à nu une ligne un peu floue...) ! Certes, on ne trouvera pas ici de gouffre métaphysique, mais un dramma giocoso de nerf et de sex appeal : foin du mythe, Bechtolf et ses interprètes nous enivrent plutôt de phéromones - jusqu'au clin d'œil final où l'on constate que la carrière du libertin ne saurait s'arrêter...

Un regret, pourtant : que la direction de Christoph Eschenbach ne soit pas de la même chair. Privilégiant le clair-obscur à l'incisivité, le galbe au trait, la noblesse au vertige, et choisissant souvent des tempi sages, il bride quelque peu les rênes d'une soirée qui s'en tient à une « très haute qualité » quand tout était réuni pour qu'elle vire à l'orage électrique.

C.C.