Birgit Nilsson (Brünnhilde), Wolfgang Windgassen (Siegfried), Gottlob Frick (Hagen), Thomas Stewart (Gunther), Marie Collier (Gutrune), Barbara Holt (Woglinde), Gwyneth Jones (Wellgunde), Maureen Guy (Flosshilde), Chœurs et Orchestre du Royal Opera House Covent Garden, dir. Georg Solti (live 1963).
CD Testament SBT-1506. Distr. Socadisc.

 

6 septembre 1963. Georg Solti célèbre le cent-cinquantenaire de la naissance de Richard Wagner en offrant au public du Royal Albert Hall un IIIe acte du Crépuscule des dieux exceptionnel. C'est en fait une répétition générale du Crépuscule entier dont la première aura lieu cinq jours plus tard au Royal Opera House Covent Garden, dont il est le directeur musical depuis 1961 et où il construit un Ring depuis l'emblématique Walkyrie qui inaugura son principat (seul resterait encore à monter L'Or du Rhin, un an plus tard). C'est le même Crépuscule qu'il enregistrerait à Vienne, en mai et juin 1964, comme IIIe volet de son intégrale discographique Decca, initiée en 1958 avec L'Or du Rhin, et qu'il achèverait en novembre 1965 avec La Walkyrie.

Commune à ces trois occasions, une distribution unique et somptueuse : Birgit Nilsson, Wolfgang Windgassen, Gottlob Frick sont bien des absolus pour ces rôles qu'ils tiennent déjà partout dans le monde, et surtout à Bayreuth régulièrement depuis 1953 pour le ténor, 1960 pour la basse et 1961 pour la soprano. L'étonnant, ici, c'est que pour le chef, en ce soir de Proms, ce soit une première : il n'a jamais encore dirigé le Crépuscule en public (et pour celui qui écrit ces lignes et écoutait cette retransmission de la BBC près de Londres, ce fut une première découverte tout autant !). Cinquante-deux ans plus tard, le témoin est fascinant car il expose combien Solti reste cohérent avec lui-même. Certes, la captation stéréo BBC est loin du Sonic Stage de John Culshaw et le spectre sonore n'est pas la séduction même, la vastitude de la salle n'aidant guère. Mais l'orchestre du Royal Opera House, sans pouvoir rivaliser en finesse avec la Philharmonie viennoise de 1964, n'en est pas moins galvanisé. C'est bien le chef des grands bruits, du Wagner le plus sonore qui soit, qu'on entend ici, avec l'énergie et le feu qu'il savait mettre à ce répertoire.

Il peut d'autant plus assumer ce parti grandiose que la distribution n'a pas besoin qu'on la ménage. On n'apprendra certes rien de neuf sur la poétique stylée de Windgassen (la mort de Siegfried est une fois de plus admirable), sur la noirceur insigne et narquoise de Frick, abyssal s'il en est, sur la splendeur incisive de Nilsson, à son plus éblouissant (la voix sonne ici avec une fraîcheur rare), et qui s'offre volontiers à un vrai degré d'investissement, presque ému, que lui permet le live : scène finale éblouissante. Face à ces monuments, on croise Thomas Stewart en Gunther veule à souhait (il l'était pour Kempe à Bayreuth dès 1960, et le serait encore aussi parfait pour Böhm dès 1965) et, inédite au disque, elle, la Gutrune de Marie Collier, excellente pour le peu que l'acte lui offre du rôle. Dommage, les Filles de Rhin ont un peu de mal à s'apparier au début ; on y retrouve pourtant Barbara Holt (Woglinde du Ring de Kempe à Bayreuth en 1963), Gwyneth Jones et Maureen Guy qu'on réentendra aussi toutes deux chez Decca, mieux équilibrées. Enfin, les chœurs entraînés par Wilhelm Pitz - c'est tout dire - sont subtilité du mot avant tout.

Triomphe justifié (et repris par une presse unanime) d'un public londonien qui s'y connaissait en matière de Ring, fort bien servi par Kempe et Konwitschny jusqu'en 1960, mais qui avait peut être encore souvenir des Rings ravageurs de Beecham et Furtwängler 25 ans plus tôt. Sir Georg, ici, n'en est pas indigne, bien au contraire. Un fort beau passage de témoin, absolument inédit qui plus est - comme souvent chez Testament.

P.F.