Aparté 109. Notice en français. Distr. Harmonia Mundi.
Peut-on être aimé pour soi-même ? Telle est l'insoluble question qui irrigue Zaïs (1748), troisième collaboration de Cahusac et Rameau, dans laquelle les deux auteurs de sensibilité franc-maçonne peaufinent l'esthétique qui sera celle de Zoroastre (1749) et des Boréades (1763). Comme souvent, chez Cahusac, peu ou pas d'anecdote : le génie Zaïs aime la bergère Zélidie, dont il est aimé, mais passe quatre longs actes, ponctués d'interventions magiques et de phénomènes naturels, à éprouver sa foi. L'action patine autant que celle des chefs-d'œuvre sus-cités, la pauvre Zélidie se voyant confrontée à une répétitive série d'épreuves annonçant celles d'Alphise et de... Pamina. Ce qui importe ici c'est la réflexion sur l'éthique et les apparences ainsi que l'apparat scénique et, surtout, chorégraphique - Rameau et Cahusac portant à son acmé leur conception du ballet « d'action » (représentant, par exemple, des statues qui prennent vie, comme dans Pygmalion créé la même année). L'Ouverture, elle aussi « figurée » (qui, plus d'un demi-siècle avant La Création de Haydn, « peint le débrouillement du chaos et le choc des éléments »), est justement célèbre : Rousset l'avait d'ailleurs déjà gravée dans sa compilation d'ouvertures ramistes parue chez L'Oiseau-Lyre (1997). Pour le reste, cette « pastorale héroïque » en un Prologue et quatre actes n'était jusqu'ici connue que par la (presqu')intégrale de Gustav Leonhardt (Stil, 1977).
Rousset va plus loin dans l'exhaustivité - on est par exemple ravi d'entendre, après le Prologue, la seconde version de l'Ouverture, écrite pour ménager des musiciens déroutés, ou le divertissement final en son entier - comme dans l'animation du marbre : si sa lecture et celle de son orchestre affiche une certaine rudesse, elle confère aussi beaucoup d'allant, de vigueur (écoutez la Gigue pour les statues ou le ballet de l'acte III) à une partition qui en pourrait manquer. Sa distribution féminine n'appelle guère de reproches : très bonne idée d'avoir confié Zélidie à une Piau au chant raffiné et au grave désormais assis (Mlle Fell, créatrice du rôle, n'avait rien d'un sopranino !) ; toujours exquises, les incarnations de Brahim-Djelloul, contrastant avec la sensualité affirmée de Bennani. Les messieurs sont plus incertains : quelques écarts de justesse auraient pu être évités par davantage de répétitions ou une basse continue plus attentive. Si, passés les premiers tableaux, les deux barytons (Arnould et Lefèvre) s'en sortent sans trop de dommages et si le timbre glorieux de Wilder transcende quelques aigus étranglés (dans un air que Leonhardt confiait au contre-ténor René Jacobs), Prégardien, en dépit de sa voix lumineuse, paraît égaré dans la tessiture tendue de Jelyotte. Est-ce le chant finalement peu « opératique », presque toujours un peu « en retard » sur l'impulsion, l'émission trop droite ou compassée, le français précautionneux ? On ne sait, mais la sauce ne prend pas, les deux ariettes (actes II et IV) frisent le pensum et l'interprète reste emprunté - beaucoup moins convaincant que son rival Elwes, dont le haut registre était pourtant plus âpre... Mais malgré ces défauts, c'est cette vivante intégrale que l'on privilégiera désormais.
O.R.