BelAir classiques BAC121. Distr. Harmonia Mundi.
Enregistrée en juin 2014, cette Carmen souligne le centième anniversaire de la création aux Arènes de Vérone du chef-d'œuvre de Bizet. Pour l'événement, la direction du festival s'est contentée de reprendre la mise en scène que Franco Zeffirelli avait montée en 1995 et qui n'ajoute rien à sa gloire. Pour maintenir l'attention d'un public que l'on devine en bonne partie néophyte, comme en font foi les applaudissements nourris pendant l'ouverture, le metteur en scène veut lui en mettre plein la vue en surchargeant l'espace d'éléments de décor plutôt laids et en animant constamment l'immense plateau des Arènes. C'est ainsi que des danseurs de flamenco - très doués au demeurant - s'agitent avec frénésie ou adoptent un rythme plus langoureux pendant l'ouverture, au moment de la relève de la garde et même durant le chant des cigarières... Pour le coup, Carmen, Frasquita et Mercédès s'en trouvent sans doute inhibées puisqu'elle osent à peine esquisser quelques pas bien timides au moment de la Chanson bohême du deuxième acte. Malgré le côté terriblement kitsch de l'ensemble du spectacle, il faut reconnaître que le défilé du dernier acte, avec ses toreros, banderilleros, chulos et picadors aux costumes rutilants, est tout simplement éblouissant.
Côté distribution, le plaisir s'avère extrêmement modéré. Peu importe que la mezzo Ekaterina Semenchuk dégage peu de sensualité malgré son timbre pulpeux ; ce qu'on lui pardonne moins aisément, c'est la caractérisation assez sommaire de son personnage, qui ne prend jamais réellement vie devant nos yeux. En outre, certaines intonations douteuses et sa tendance à couper de manière intempestive quelques phrases mélodiques jettent de l'ombre sur une interprétation qui mérite d'être peaufinée. Irina Lungu suscite nettement plus d'enthousiasme en Micaëla : la plénitude de sa voix, le rayonnement de ses aigus et son intelligence musicale lui valent une ovation pleinement méritée après son air du troisième acte. En plus de massacrer le français, les autres solistes sont tous à oublier, à commencer par le José pataud de Carlo Ventre, qui ne sait chanter qu'à tue-tête, et l'Escamillo de Carlos Álvarez, qui bouscule son refrain deux fois plutôt qu'une. En dépit de nombreux petits décalages avec le plateau, Henrik Nánási insuffle beaucoup de dynamisme à l'orchestre et au chœur ; lui et Irina Lungu ne peuvent toutefois sauver une soirée bien peu exaltante.
L.B.