DVD Erato 46166503. Distr. Warner Music.
Signée Louise Narboni et Benoît Jacquot, la réalisation de cette captation filmée magnifie une production qui ne nous avait qu'à moitié convaincus. Non seulement elle nous rend plus palpable un dispositif scénique dont l'aspect spectaculaire et abstrait nous avait semblé mutique, mais elle en fait oublier les impasses (le plateau du II utilisé à demi, le chœur frontal) et en rend les profondeurs noires plus expressives. Surtout, sur les premières images, la caméra subjective placée dans le public donne le ton : le regard sera intime et cinématographique, plongeant au cœur des visages, tout autant que distancié et théâtral, englobant la fosse et les rangs de spectateurs. Un peu de la magie du spectacle vivant - faite de ce paradoxe abyssal d'être illusion mais d'être vivant - passe alors dans cette vidéo, et cela est suffisamment rare pour être souligné.
Faisant de sa Violetta une Olympia blafarde écrasée par le décorum d'un monde qui la broie (les hommes y sont autant de corbeaux funèbres en redingote noire), Jacquot mêle classicisme (costumes) et psyché (le plateau, espace mental) ; dans ce cadre, l'interprétation de Diana Damrau gagne aussi à la captation filmée, car son visage délivre autant que sa voix les inflexions d'un personnage pensé sans pathos, mais avec une vie intérieure trépidante, proie qui se débat vaillamment dans la toile du destin, et jusqu'au bout. Malgré un mi bémol du finale primo ici tiré et durci, malgré un bas-medium plus fragile (mais qui passe le relais à de vrais graves nourris), tout reste admirable chez cette interprète qui possède le brio des coloratures du I, la ferveur généreuse du II et le tissu déchiré du III : le « Amami Alfredo » est jeté d'autorité à la tête du destin, « Addio del passato », un fil céleste prêt à se rompre, avec partout une musicienne doublée d'une actrice que la caméra filme à son meilleur - le film créant alors les atmosphères et la chaleur que la scénographie, avec ses vides volontaires, refusait aux spectateurs.
Avec une direction plus inspirée que celle, honnête mais sans fulgurances ni vraie poésie, de Francesco Ivan Ciampa, avec un Alfredo plus transcendant que celui, fin musicien mais parfois larmoyant dans les aigus, de Francesco Demuro, on aurait été comblé. Car le Germont de Ludovic Tézier est d'anthologie : le mordant s'arrondit dans la ligne, le souffle se déploie dans un phrasé aristocratique - une leçon magistrale, d'autant que le personnage sied bien à l'interprète et à son jeu réservé, ici de circonstance.
Une Traviata vidéo à ne pas négliger, et un nouvel exemple que la captation d'un spectacle est un art... autant qu'un artifice.
C.C.