CD Testament SBT3 1496. Notes et livret en anglais. Distr. Socadisc.
Compositeur autodidacte, Havergal Brian (1876-1972) ne craignait pas la démesure : sa première symphonie (1919-27), surnommée The Gothic, dure une heure trois quarts, réunit cinq chœurs, 210 instrumentistes (dont 17 percussionnistes, 68 cuivres et 32 bois) et serait la plus longue de toute l'histoire de la musique. Son catalogue comprend 32 symphonies, des concertos et cinq opéras, dont The Tigers, composé entre 1917 et 1929 et qui connut un destin bien singulier. C'est encouragé par Thomas Beecham, qui lui proposa d'adapter La Dame de la mer d'Ibsen, que Brian décida d'écrire pour le théâtre lyrique. Peu intéressé par la pièce norvégienne, il préféra s'improviser librettiste en s'inspirant de son expérience pendant la Première Guerre mondiale et écrivit une satire féroce dans laquelle un régiment imaginaire - les Tigres - symbolise l'incompétence de l'armée britannique. Conscient qu'un tel sujet n'aurait pas l'heur de plaire en Angleterre, il se tourna vers les scènes allemandes ; Fritz Busch caressa d'ailleurs le projet de créer l'opéra à Dresde en 1934, mais c'était évidemment trop tard, puisque le chef quitta son poste en 1933. Perdue en 1945, la partition d'orchestre fut retrouvée après la mort du compositeur, en 1977, mais ne fut jamais jouée en public, si ce n'est sous la forme de fragments orchestraux. Cet enregistrement, réalisé par la BBC en 1983 dans les studios londoniens de Maida Vale, constitue la seule exécution intégrale de l'œuvre. À la même époque, Ken Russell essaya de convaincre l'English National Opera de monter l'opéra, mais ce fut en vain.
Doit-on s'affliger d'une telle succession de malheurs qui nous aurait privés d'un chef-d'œuvre méconnu ? En vérité, pas du tout. Terriblement verbeux, le livret souffre d'une distribution pléthorique et d'une intrigue décousue qui s'empêtre complètement dans un humour bien peu spirituel. On est loin ici, par exemple, de la causticité extraordinaire que Jaroslav Hašek imprime à un sujet comparable dans son roman Les Aventures du brave soldat Chveik (1920-23). Et quid de la partition ? S'il possède un certain talent d'orchestrateur et aime utiliser les sonorités nouvelles comme celle du vibraphone, Brian a eu des visées beaucoup trop ambitieuses en composant un premier opéra de presque trois heures où l'on décèle de nombreuses citations (la Chevauchée des Walkyries, Ein Heldenleben), mais pas l'ombre d'une vraie personnalité musicale et d'un quelconque souffle dramatique. Peu habile à mettre les voix en valeur, il a sans doute composé les meilleurs moments dans les interludes, les divertissements dansés et le long prologue de 37 minutes au cours duquel la foule réunie pour le carnaval à Hampstead Heath apprend la déclaration de la guerre. Le chef Lionel Friend, les forces de la BBC et les très nombreux solistes s'investissent à fond et avec beaucoup de mérite dans l'interprétation d'une œuvre que seuls les inconditionnels de Havergal Brian ou de la musique anglaise du XXe siècle auront plaisir à découvrir.
L.B.