CD Brilliant Classics 95113. Distr. UVM.
Une attitude conservatrice active, qui s'accentua avec l'âge, ouvertement opposée à l'école de Schönberg, et une sympathie pour les débuts du National-Socialisme - nullement payée de retour et qui révèle surtout son inconscience politique et sa foi dans les aspirations de l'Allemagne à devenir une nation-phare - ont fait un tort relatif à l'image du compositeur de Palestrina. Tort relatif car au delà, comme l'a écrit Christian Goubault, « Tout concourt à faire de Pfitzner à la fois un isolé et un incompris : le lyrisme, le caractère fantasque, mélancolique ou parfois sombre de la poésie d'Eichendorff qu'il a si souvent mise en musique, l'isolement du monde, l'homme et la nature symbolisant la nostalgie du paradis perdu ou du passé. ».
Son œuvre emblématique, dont la création à Munich en 1917 lui apporta une célébrité immédiate et durable, n'a guère (voire plus) été représentée de ce côté du Rhin depuis son entrée au Palais Garnier (en version française) le 30 mars 1942. Ironie du sort pour une partition composée à Strasbourg, alors annexée, où Pfitzner dirigea le Conservatoire, les concerts et l'Opéra de 1908 à 1918. Le livret, que le musicien rédigea lui-même faute de trouver un collaborateur qui se passionne pour un sujet, place la question de la création artistique « révélée » (par opposition à celle qui se présente comme l'aboutissement d'une recherche délibérée) dans un cadre historique, celui du Concile de Trente (acte II) où fut mise en cause la validité des compositions religieuses trop contrapuntiques coupables de reléguer le texte et son contenu à l'arrière-plan. L'acte III verra le triomphe du vieux maître qui a tracé en une nuit, sous la dictée des anges, la Messe du pape Marcel, sauvant ainsi l'avenir de la musique religieuse. S'agissant d'une légende, Pfitzner l'enjolive en faisant apparaître (à l'acte I) les spectres des glorieux prédécesseurs de son héros.
Quant à la musique, il est remarquable qu'elle s'éloigne à ce point de Wagner dont Pfitzner était un admirateur fervent, tant pour la couleur orchestrale (plus transparente) que pour le langage (moins chromatique) et surtout une vocalité flamboyante qui peut expliquer que l'ouvrage ait séduit les plus grands chanteurs. La partition ne sacrifie pas pour autant au style néo-palestrinien à l'honneur dans la seconde moitié du XIXe siècle : Pfitzner, suivant le mot de Verdi « Revenons aux anciens, ce sera un progrès », a décelé chez le vieux maître les élément d'une modernité inattendue. Certes, on aurait mieux aimé que le second acte continue sur la lancée du premier au lieu de ces interminables débats esthético-religieux entre prélats cosmopolites. L'absence de traduction française du livret (ici accessible en ligne) ne facilite pas l'approche. Même si Pfitzner déploie des trésors de truculence pour donner aux discours de l'évêque de Budoja (Italien frontalier) et à Avosmediano, évêque de Cadix, un ton qui réveille l'attention, même si Morone, légat du pape et baryton brillant domine le va-et-vient des altercations par ses interventions saillantes, on peine à se passionner pour l'enjeu : la messe en musique. Le troisième acte renoue avec le premier, mais il est bref et ne fait pas oublier les longueurs du second si éprouvantes pour des oreilles latines. Dès lors, on comprend pourquoi Palestrina, de conception si sérieusement et si mystiquement germanique, peine à s'exporter.
L'œuvre mériterait pourtant de faire un effort et la qualité de cet enregistrement de concert (réalisé en 1986 et 1988 mais qui n'avoue pas son âge) peut y aider grandement - à condition de trouver une traduction française. La seule mention de la distribution des rôles principaux donne une idée du niveau de l'ensemble : rien que de l'excellence. Palestrina superbe, Peter Schreier trouve en Siegfried Lorenz un interlocuteur à sa hauteur pour les échanges de leur dispute amicale, de même qu'avant eux, les voix des deux cantatrices incarnant le fils respectueux (Ighino) et l'élève progressiste (Silla) de Palestrina, s'accordent et se complètent avec grâce ; enfin Hans-Joachim Ketelsen, baryton incandescent, rythme l'acte II de ses apostrophes irrésistibles. Les rôles secondaires ne pâlissent pas à côté ; le soin de l'écriture vocale n'est sans doute pas étranger à ce résultat. Chef lyrique un peu oublié, Otmar Suitner conduit l'ensemble avec un rare sens du rythme dramatique.
G.C.