Carlo Allemano (le Podestat), Erin Morley (Sandrina), Enea Scala (Belfiore), Marie-Adeline Henry (Arminda), Marie-Claude Chappuis (Ramiro), Maria Savastano (Serpetta), Nikolay Borchev (Nardo). Le Concert d'Astrée, dir. Emmanuelle Haïm, mise en scène : David Lescot (Lille 2014).
DVD Erato 08256 461664 5 9-74. Distr. Warner Music.


Mozart a dix-neuf ans lorsqu'il livre à Munich, en 1775, cet apparent opera buffa que l'on tend à considérer aujourd'hui - avec raison - comme son premier dramma giocoso ("drame joyeux"), un genre qu'il va porter à son apogée en collaboration avec Da Ponte. Car si le livret, fort amusant mais verbeux, de Petrosellini tend parfois à traiter ses personnages comme des marionettes, la divine musique d'Amadeus les amène à se transcender, à commencer par le rôle-titre (Sandrina) à qui sont confiés des airs bouleversants.

On regrette dès lors un peu que cette vivante et cohérente production lilloise ait surtout misé sur l'effet comique, particulièrement lors du finale primo où l'on se croirait chez Rossini. David Lescot a choisi de rester au plus près du livret, privilégiant la caractérisation des rôles, souvent habilement "croqués" - le vieux beau et son catogan, le tennisman-gendre idéal, l'écuyère sadique, le macho beau parleur - mais parfois entraînés dans des gesticulations convenues. Tous costumés de blanc, les personnages évoluent d'abord dans le jardin ensoleillé du Podestat (dont les fleurs assez moches servent trop systématiquement de souffre-douleur) puis, après l'enlèvement de Sandrina, dans un univers sombre et lunaire, plus poétique, où les codes tendent à s'assouplir.

Le gros point fort du spectacle, c'est son casting: une formidable équipe de jeunes chanteurs, tous plus crédibles les uns que les autres - à l'exception, peut-être, du Ramiro contraint et tendu (dans son deuxième air) de Chappuis, qui ne peut faire oublier, dans ce rôle seria, l'immense Fassbaender. Les deux ténors contrastent idéalement : timbre sombre et chant mal dégrossi, Allemano campe un touchant vieux beau face à l'insupportable et irrésistible latin lover d'Enea Scala, aux inévitables contre-notes. Voix pulpeuse, physique à l'avenant, Morley est une jardinière craquante à qui ne manque qu'un zeste de mélancolie, tandis que le baryton Borchev possède tout l'abattage de Nardo. Les sopranos d'Henry et Savastano font parfois assaut de notes métalliques mais c'est pour mieux rendre l'agressivité des deux affreuses pestes qu'elles incarnent. Tonique, efficace, pleine de feu (le second finale, les airs de fureur d'Arminda), la direction d'Haïm abuse parfois du staccato et ne se distingue pas par sa tendresse - regrettons aussi que l'orchestre soit relégué au second plan par la prise de son. Mais, basta, nous sommes au théâtre, ne boudons pas notre plaisir !

O.R.