DVD Wergo MV8075. Sous-titres en anglais seulement. Distr. DistrArt Musique.
Les thèmes mêlés de la passion amoureuse, du sang, du meurtre, que l'on imagine volontiers typiquement hispaniques et, comme ici dans Les Noces de sang de Federico García Lorca, trouvant dans l'Andalousie rurale leur cadre idéal, révèlent curieusement, une fois traduits en allemand, un air de famille avec une fameuse tragédie sociologique de Büchner. Bien plus que le drame lui-même, c'est le rapport qu'entretient avec lui la musique qui suggère le parallèle. Non que la musique de Fortner, écrite dans un idiome atonal mais cependant largement polarisé qui évoque parfois Hindemith, ressemble particulièrement à celle de Berg, dont elle n'a de toute façon pas le cachet. Le recours à des éléments de folklore ibérique, qui va jusqu'à l'espagnolade avec castagnettes de la Servante (tableau 4) sans pour autant atteindre le kitsch, relève d'un souci de couleur locale qu'aurait assurément stylisé le Viennois. Et pourtant, le spectre de Wozzeck plane sur les valses grinçantes qui bercent plusieurs bébés (tableaux 2 et 7) et, de façon plus générale, sur le stile giocoso grimaçant qui colore plusieurs scènes.
Malgré le succès de sa création en 1957, Bluthochzeit fut remanié de façon significative en 1963. Outre les nombreuses répliques parlées qui nous rapprochent du mélodrame, on note immédiatement un lyrisme aux lignes vocales bien moins escarpées que celles de Berg. De loin le plus important, le plus développé et le plus profond, le rôle de la Mère du marié est le pilier sur lequel repose cet opéra, et il faut une présence telle que celle de la mezzo Dalia Schaechter pour lui donner tout son relief. En dépit de ses nombreuses qualités, on n'écoute pas tant sa vocalité en soi que sa voix comme support d'une large palette expressive. Deux des rôles importants (le Marié et le Père de la mariée) étant, selon un choix qu'un compositeur ne ferait sans doute plus aujourd'hui, entièrement parlés, l'attention se focalise sur Leonardo, personnage trouble au fort atavisme criminel. Le chargeant effectivement d'une aura hautement négative conforme au rôle, le baryton Thomas Laske en fait néanmoins l'une des voix les plus rayonnantes de ce plateau avec celle la mezzo Joslyn Rechter, toujours stable, claire et dense, dont le rôle de Servante presciente du malheur à venir est bien moins secondaire qu'il n'y paraît de prime abord. D'abord effacée et contrainte par le poids des traditions, la Mariée connaît, sous l'emprise de sa passion pour son ancien fiancé, Leonardo, une émancipation fulgurante que Banu Böke accompagne vocalement de façon remarquable.La surcharge burlesque du rôle de la Lune tient autant au choix d'une représentation travestie qu'à la voix débordante qu'elle semble avoir suscitée chez Martin Koch.
De façon générale, la mise en scène de Christian van Götz paraît conventionnelle, avant tout dans son aspiration à ne pas l'être : le regain d'activité scénique pendant les interludes, fruit de la tentation exégétique, est vite agaçant, comme les pantalons de camouflage généreusement distribués ou encore les seringues et bouteilles d'alcool qu'arborent les jeunes filles en train de donner le biberon à leur bébé (tableau 7). Est-il bien nécessaire de « réactualiser » ainsi García Lorca ? D'autres lourdeurs de ce type plombent à plusieurs reprises le rythme scénique.
Si l'on ajoute à cela un film assez plat dont l'élan est sans cesse interrompu par des plans sur l'orchestre - d'ailleurs un peu terne et mal servi par la prise de son aux changements intempestifs de perspective et de texture -, lui-même situé derrière le vaste rideau sur lequel est projetée une façade d'immeuble populaire, l'utilisation de rustines de matériel vidéo et audio manifestement tourné en répétition dans des conditions techniques approximatives, et même un plan de coupe complètement désynchronisé (tableau 7), on ne conseillera l'acquisition de ce DVD que dans l'optique d'une redécouverte d'un opéra malgré tout intéressant.
P.R.