Jean-Sébastien Bou (Claude), Jean-Philippe Lafont (le Directeur), Rodrigo Ferreira (Albin), Laurent Alvaro (l'Entrepreneur/le Surveillant général), Rémy Mathieu (Premier personnage/Premier Surveillant), Philip Sheffield (Deuxième personnage/Deuxième surveillant), Orchestre, Chœurs et Maîtrise de l'Opéra de Lyon, dir. Jérémie Rhorer, mise en scène : Olivier Py (Lyon 2013).
DVD Bel Air Classiques BAC118. Distr. Harmonia Mundi.

 

Victor Hugo défendait en 1834 l'éducation et la justice sociale contre la répression. La machine pénitentiaire de Clairvaux, dépeinte sur fond de révolte des canuts et associée au personnage charismatique de Claude Gueux, présentait pour Robert Badinter les ingrédients clés d'un livret d'opéra. Le personnage d'Albin, à peine esquissé par Hugo, a ici été considérablement développé jusqu'à agir comme un catalyseur de la tragédie, sous la forme d'une relation amoureuse - au caractère homosexuel souligné par la mise en scène d'Olivier Py, alors qu'elle était tue par Hugo - déterminante pour les agissements de Claude. Dans ce contexte, le cast vocal est ici totalement masculin, à l'exception des femmes du chœur final et des voix off de jeunes filles. Cette restriction de la typologie des rôles et des timbres bouscule certains des codes de l'opéra et favorise de façon incidente un climat presque oppressant, qu'amplifie largement le décor en éléments mobiles - notamment les cellules sur trois étages - jouant sur la hauteur et la sensation d'écrasement.

Claude, idéalisé en figure du héros révolté, est magnifiquement incarné par un Jean-Sébastien Bou totalement engagé, vocalement comme physiquement. Jean-Philippe Lafont campe un Directeur de prison intraitable, impressionnant et tonitruant, auquel on ne peut reprocher qu'un vibrato nerveux et systématique sur chaque note longue qui devient de facto une note répétée. Rodrigo Ferreira, contre-ténor coqueluche de l'opéra contemporain, fait valoir son énergie scénique et sa puissance vocale. Il est dommage cependant que les expressions de visage très accusées dont il accompagne ses interventions tournent par moments au rictus, donnant une impression de surexpressivité.

La réussite de ce Claude tient beaucoup à la convergence rythmique du livret, de la musique et de la mise en scène. Thierry Escaich trouve pour son premier opéra une remarquable dynamique discursive, délaissant toute illustration au profit d'une narrativité parallèle. Lors du prologue, la machine orchestrale et chorale se fait inquiétante et amène comme par un mouvement spiral l'entrée en scène de Claude. Ce n'est que l'un des multiples exemples de l'efficacité d'une écriture qui se caractérise le plus souvent par son allure nerveuse et rythmée, joliment restituée par la formation lyonnaise et Jérémie Rhorer, propice en outre à donner du ressort aux parties vocales, souvent assez sobres, sans empiéter sur leur espace. On appréciera, sur une base souvent chromatique, la motorique rythmique et les ostinati qui semblent sortis tantôt d'un thriller (sc. 10), tantôt d'un carillon stylisé (sc. 8), une progression harmonique faussement baroque (interscène 2) immédiatement suivie d'une rythmique faussement disco alors que gronde la colère chez les détenus (sc. 13), la reformulation distordue du chant de la petite fille lors du second rêve de Claude (sc. 10), ou encore la musique de foire grinçante qui accompagne la danseuse de ballet dans l'épilogue. Un sens subtil de la façon d'amener des airs sans figer l'action et de légitimer les ensembles par la situation scénique compte parmi les atouts du compositeur, dont on se réjouit qu'il pense sérieusement à renouveler son expérience dans le domaine de l'opéra qui lui réussit si bien.

P.R.