Benoît Arnould (Tancrède), Isabelle Druet (Clorinde), Chantal Santon (Herminie), Alain Buet (Argant), Eric Martin-Bonnet (Isménor), Orchestre Les Temps Présents, Les Chantres du Centre de Musique Baroque de Versailles, dir. Olivier Schneebeli (live, 2014).
CD Alpha 958. 2014. Distr. Outhere.

 

Tancrède (1702), la seconde tragédie en musique du duo André Campra/Antoine Danchet, n'est pas seulement l'un des plus touchants opéra français pré-ramistes, c'est aussi l'un des plus originaux. En effet, de façon inouïe à l'époque, les protagonistes y sont distribués à des voix graves - trois basses et une mezzo -, sans doute afin d'accentuer le caractère sombre d'un drame dont personne ne sort indemne. En outre, la partition réserve une place inédite, dans le contexte tragique, à un récit accompagné souvent proche de l'arioso et à des chœurs complexes, dont Rameau saura se souvenir - trente ans plus tard ! Nous attendions donc avec impatience une intégrale de cet ouvrage que Jean-Claude Malgoire n'avait ressuscité que de façon tronquée (en juillet 1986, les micros d'Erato enregistrant la production aixoise mise en scène par Jean-Claude Penchenat). Mais la présente parution ne fait pas oublier la précédente.

Ainsi le rétablissement de près d'une demi-heure de musique ne convainc-t-il pas toujours (le Prologue et le divertissement de l'acte III apparaissent bien longuets), par la faute d'une direction certes vive et élégante mais linéaire, peu portée aux contrastes, manquant de largeur dans les « airs » et délayant les récits, refusant d'accuser les climats comme le faisait parfois heureusement celle de Malgoire - écoutez, par exemple, la symphonie du triomphe de Tancrède de l'acte V aixois ! Si les deux enregistrements ont été captés « sur le vif », cette immédiateté nous vaut surtout ici un excès de tambourins et de crécelles décoratifs alors qu'elle accusait le pathos de l'ancienne version. En contrepartie, orchestre et basse continue apparaissent ici plus équilibrés, le Chœur de Versailles mieux servi et souvent inspiré (« Venez, fille du ciel », « Contre nos ennemis »).

Mais les premiers rôles masculins ne possèdent pas la carrure de leurs prédécesseurs : Arnould, Tancrède plein de finesse dans ses échanges avec Clorinde, s'avère un peu écrasé par ses monologues avec orchestre, sans comparaison avec le brûlant Le Roux (« Sombres forêts ») ; Martin-Bonnet, un magicien efficace mais pas aussi terrifiant que l'ogre incarné par Reinhart (et quelle musique lui confie Campra !) ; quant à Buet, on ne comprend tout simplement pas pourquoi les baroqueux continuent à engager une basse aussi engorgée (on en regrette moins, du coup, la disparition de la superbe mort d'Argant au profit de la scène alternative de l'agonie de Clorinde).

En revanche, la distribution féminine de Schneebeli l'emporte sans conteste sur la précédente, tant en termes de diction, de fermeté des timbres que d'incarnation : Santon parvient presque à faire exister le fade personnage d'Herminie tandis que Druet, en dépit de sonorités métalliques, se révèle aussi magistrale dans l'héroïsme (« Etes-vous satisfaits ? ») que dans la tendresse (« Diffère d'un moment »). Enfin, Anne-Marie Beaudette campe une Paix de grande classe. En somme, nous disposons désormais de deux lectures dont les atouts se complètent...

O.R.