DVD Erato 0825646117642. Distr. Warner Music.
Après avoir inspiré au fil des décennies différentes adaptations scéniques, Les Parapluies de Cherbourg ont connu l'an dernier une nouvelle mouture qui coïncidait avec le cinquantième anniversaire de la sortie du film. Rêvant depuis longtemps de faire jouer sa partition par une formation symphonique, Michel Legrand l'a réorchestrée pour ces représentations parisiennes en souhaitant qu'elle devienne un jour un classique de la scène. Sous sa houlette, l'Orchestre National d'Île-de-France prend un plaisir manifeste à donner tout le relief désirable aux rythmes gentiment jazzy et aux passages lyriques quelque peu sirupeux associés à jamais aux images de Jacques Demy. La comparaison entre ces dernières et la mise en espace du Châtelet s'avère forcément cruelle, en raison des changements de tableaux rapides que permet le cinéma, et l'on aurait souhaité que Vincent Vittoz fasse preuve d'une plus grande inventivité, en particulier dans les scènes de groupe. Sur le plateau nu, les principaux lieux de l'action sont suggérés par de modestes panneaux dessinés par Sempé et que déplacent deux figurants vêtus en matelots. Censée se dérouler dans le garage où travaille Guy, la scène d'ouverture laisse pour le moins perplexe puisque tous les protagonistes se retrouvent dans un lieu non identifié où ils se livrent à une chorégraphie d'un amateurisme désolant tout en s'interpellant sans que l'on sache vraiment à qui ils s'adressent. Si les choses s'améliorent par la suite, l'ensemble s'avère globalement convenu et on nous permettra d'exprimer des réserves face au choix de substituer d'autres panneaux de Sempé aux deux jeunes enfants (François et Françoise)...
La vedette incontestable de cette production est la jeune Marie Oppert qui, en plus de posséder l'âge exact de Geneviève - 17 ans - joue et chante à ravir. Criante de vérité, elle fait preuve tour à tour de fougue amoureuse, de détermination face à sa mère ou de désarroi face à l'absence du bien-aimé. À 39 ans, Vincent Niclo n'a peut-être pas encore à se soucier de « l'irréparable outrage » du temps ; il n'empêche que son Guy a depuis longtemps passé l'âge du service militaire... Comédien attachant, son chant s'avère cependant plus fruste que celui de Marie Oppert. Pour sa part, Natalie Dessay semble constamment hésiter entre sa voix d'opéra et un style plus « naturel », comme si la soprano ne pouvait faire taire sa nature profonde de cantatrice. Excessive, manipulatrice et haute en couleur, sa Mme Émery pèche cependant par un manque de sobriété dans le jeu, contrairement au Roland Cassard en tout point admirable de Laurent Naouri. Celui-ci réussit parfaitement à plier sa superbe voix de baryton-basse à cette espèce de parlando si particulier de Legrand. En plus d'être une interprète très sensible de Madeleine, Louise Leterme fait presque figure de sosie de Geneviève : la même coiffure et l'imperméable identique montrent bien que les deux personnages d'amoureuses sont interchangeables, comme le prouve d'ailleurs le dénouement. Lorsque les lumières s'éteignent, on se dit que Michel Legrand et Natalie Dessay, complices à la scène et sur disque depuis quelques années, ont sans doute réalisé un beau fantasme, mais que cette version scénique a bien peu de chances de pouvoir rivaliser avec un film entré dans la légende.
L.B.