DVD Opus Arte OA1170D. Distr. Distrart Music.
Voilà, c'est fait : Glyndebourne, doté de son nouveau théâtre, a pu loger dans sa fosse tout le grand orchestre dont Strauss a revêtu son Rosenkavalier. Le festival avait pourtant accueilli dès 1959 la comédie de Richard Strauss dans la régie brillante et subtile de Carl Ebert, prélude à une reprise inoubliable (1965) que le disque a illustrée, où marivaudaient la Maréchale de Montserrat Caballé, l'Octavian de Teresa Zylis-Gara, la Sophie d'Edith Mathis et l'Ochs d'Otto Edelmann, portés par un orchestre réduit.
Gain à l'orchestre, donc, pour l'édition 2014 ? Pas certain. Robin Ticciati dirige preste mais un rien brouillon ; sa balance, dès le prélude, manque de finesse, trop cuivrée. Plus étrange, rien de l'esprit viennois ne paraît ici, mais plutôt une lecture ironique, distanciée, coloriste comme d'ailleurs les décors de bonbonnière dont Paul Steinberg revêt la scène.
Où sommes-nous ? Un petit côté Arts Déco ferait pencher la balance vers une Vienne façon maison de poupée des années vingt... mais dans une palette très années soixante-dix. Cette translation contraint le spectacle de Richard Jones à une certaine frivolité - des gestes mais aussi des sentiments. Le théâtre d'Hofmannsthal, malgré une direction d'acteurs tout en finesse, bascule vers une comédie assez triviale. A ce titre, seul le troisième acte fonctionne, et Robin Ticciati en trouve le ton désopilant, enfin à son affaire, alors que les musiciens du Philharmonique de Londres rivalisent d'imagination. La nudité enchanteresse de la Maréchale recevant dans son bain une pluie d'or au lever de rideau n'y change rien. Richard Jones, qui a si souvent trouvé la clef secrète des œuvres - son Ange de feu de la Monnaie, son Enfant et les sortilèges pour Garnier l'attestent -, est resté au seuil du Rosenkavalier. On regarde pourtant sans se lasser, et sans même s'apercevoir que jamais l'émotion n'étreint. Spectacle froid, que vient réchauffer une distribution dépareillée mais attachante.
La Maréchale de Kate Royal était attendue, avec raison. Son physique de top model interdit de la croire vieillissante, Richard Jones exalte son éros jusque dans ses jeux de séduction avec son négrillon devenu ici un quasi jeune-homme. L'actrice est splendide, subtile, élégante ; la chanteuse a plus travaillé l'approfondissement un brin narcissique du monologue que la vivacité de la conversation, mais enfin : quel plaisir de voir son lyrique-léger prendre possession de la vocalité bien plus ouverte de la Princesse Rési ! Pour beaucoup l'Octavian de Tara Erraught sera une sacrée surprise : voix charnue à la Ludwig - avec parfois un vibrato trop passionné -, un Chevalier très jeune homme malgré un physique pulpeux, et une Mariandel irrésistible dans sa griserie feinte au III. Teodora Gheorghiu, espérée vainement l'année précédente en Zerbinetta pour l'Ariadne auf Naxos de Katharina Thoma, brûle son soprano léger à Sophie : il lui manque le charme du timbre, le rêve de la voix sur le fil, la magie de la suspension, preuve une fois encore qu'une colorature ne suffit pas pour faire une Sophie. Pourquoi la leçon de Lucia Popp est-elle tant oubliée ? Rien que des louanges pour l'Ochs débonnaire et victime de Lars Woldt, que je ne peux m'empêcher de trouver aussi sympathique que celui d'Otto Edelmann, et pour les comprimari, tous parfaits, avec au sommet l'admirable Chanteur italien d'Andrej Dunaev, exotique pour les mots mais tellement charmeur.
J.-C.H.