CD Naxos 8.660349-51. Distr. Outhere.
Composée de 1913 à 1924, L'Orestie de Milhaud, qui met en musique le texte d'Eschyle revu par Claudel, regroupe trois volets d'inégale longueur : dix minutes pour Agamemnon, réduit à la plainte imprécatrice de Clytemnestre après le meurtre du roi, une demi-heure pour Les Choéphores, plus d'une heure et demie pour Les Euménides, opéra en trois actes. Une vaste fresque où le jeune musicien expérimente plusieurs types d'écriture vocale et orchestrale, sans parler des audaces rythmiques et harmoniques, en particulier la polytonalité. Dans un orchestre gigantesque, les percussions, nombreuses, jouent parfois un rôle soliste. C'était, à l'époque, assez révolutionnaire, bien dans l'esprit des années vingt également, lorsqu'on cherchait, à travers la tragédie antique, à renouveler un genre qui peinait encore à s'affranchir aussi bien de Wagner que de Debussy.
On ne disposait jusqu'à présent que des Choéphores par Igor Markevitch et Leonard Bernstein. Saluons donc l'entreprise de Kenneth Kiesler qui, à la tête des forces de l'Université du Michigan, s'est lancé dans l'aventure le 4 avril 2013. Sa lecture ne manque pas de puissance, même si on la souhaiterait plus analytiquement détaillée - cela tient peut-être, d'ailleurs, à la prise de son. Saluons le chœur, malgré un français assez exotique. Les voix sont adéquates, exceptée la Clytemnestre de Lori Phillips dépassée par une partie exigeant un grand falcon à la française - très sensible, donc, au mot et à la prosodie. Bien que trop proches de timbre, Oreste et Apollon possèdent style et présence grâce à Dan Kempson et Sidney Outlaw, Kristin Eder a la fragilité douloureuse d'Electre, l'Athéna soprano - la déesse étant représentée par les trois tessitures féminines - de Brenda Rae se meut naturellement dans la sphère de ses suraigus.
Une très honorable version d'attente, puisque nous ne disposons d'aucune intégrale française ou francophone de cette Orestie - un scandale. Un défi relevé, aussi, par cette Amérique où Milhaud enseigna si longtemps.
D.V.M.