David Kravitz (Abraham), Michelle Trainor (Agar), Christine Abraham (Sarah), David McFerrin, Neal Ferreira, Samuel Levine (les Trois Voyageurs), Brett Hodgdon (piano), Boston Lyric Opera Orchestra, dir. David Angus (Boston, live 6, 7, 13 février 2013).
BIS-2129. Distr. Socadisc.

Trois voyageurs rendent visite à Abraham et Sarah. À l'annonce de sa maternité imminente, pourtant hautement improbable d'un point de vue physiologique, cette dernière ne peut réfréner un rire. Cette scène biblique pouvait difficilement nourrir une œuvre lyrique de grandes dimensions. C'est pourquoi, malgré le développement libre sur le dessin trouble des trois hommes armés - l'actualité s'invite dans les Écritures -, avec une négociation finale menée par Abraham pour que soient épargnés les habitants de Sodome et Gomorrhe, cet opéra (créé en 2011) dure à peine plus de quarante minutes.

La situation dramaturgique offre un potentiel vocal qui a été judicieusement exploité par James MacMillan. Le trio de Voyageurs - deux ténors et un baryton - est traité comme une entité musicale quasi indissociable, dont on appréciera l'homogénéité, et parfois même l'ensemble parfait dans des situations mélismatiques pourtant peu compatibles avec cet exercice (« Gold has lost its lights »). Leur chant a cappella sur lequel viennent se greffer en arrière-plan les commentaires chantés de Sarah et Abraham (« Who are these angels? ») est sans doute le moment le plus fort de l'opéra. Christine Abraham campe une Sarah à la forte présence, mais se signale à plusieurs reprises, et notamment dans son joli air « And the good? », par une tension vocale qui se traduit par un manque de précisions dans le haut de sa tessiture. L'Abraham de David Kravitz a tout le charisme requis, et c'est dans la scène de négociation qu'il est le mieux mis en valeur.

D'une belle souplesse, les lignes mélodiques sont plus d'une fois teintées par un orientalisme un peu trop voyant. Le chant initial d'Abraham, en hébreu puis en anglais, se réfère manifestement à la cantillation hébraïque et semble, pour cette raison, déjà trop chargé de lyrisme. L'orchestre de cordes, dont on appréciera l'homogénéité comme la consistance, est parfois délesté de ses belles textures pour alimenter tantôt le carton-pâte d'une antiquité biblique vue d'Hollywood, tantôt une modalité qui semble hésiter entre les adagios mahlériens et les accompagnements d'Oum Kalthoum, quand elle n'est pas harmonisée façon Bartók (sc. 2).

La soprano Michelle Trainor ne fait qu'une très brève apparition dans l'opéra en tant que Agar, dans une réplique ad hoc destinée à faire écho à La Plainte d'Agar de Schubert qui figure au début du disque, où l'on mesure vite les limites de sa souplesse dans l'aigu. Peut-être pertinent sur la scène de l'opéra de Boston, cet appendice schubertien chanté dans langue de Shakespeare et transformé en un étrange lied augmenté, de façon sporadique, par quelques interventions de cordes du cru de David Angus, ne présente ici aucun intérêt.

P.R.