DVD Decca 074 3862. Distr. Universal.
La production d'Otello par Elijah Moshinsky fait désormais partie des « grands classiques », non seulement par le nombre de ses reprises mais également par celui de ses captations : créée à Londres en 1987 (avec rien moins que Domingo et Ricciarelli sous la direction de Carlos Kleiber !), filmée cinq ans plus tard sur la même scène (DVD Pioneer, avec Domingo toujours mais la Desdemona de Kiri Te Kanawa), puis au Met en 1995 (DVD DG, avec Domingo encore mais, cette fois, Renée Fleming) ! La retrouver confirme sa valeur - un classicisme visuel de bon goût et de grande fidélité au livret - et ses limites - une narration très « premier degré », manquant ici d'atmosphères, là d'une direction d'acteurs plus affûtée. La direction de Semyon Bychkov est elle aussi avare de cette vie brûlante qui fait les grands soirs d'Otello : le « Fuoco di gioia », par exemple, ne pétille en rien ; les échos de Jago repris par Otello (« Che ascondo in cor, signore ? ») font rire le public au lieu de le glacer d'inquiétude ; de bout en bout, une solidité tranquille domine là où l'orchestre devrait être félin (l'introduction à l'acte III, le second duo Otello/Desdemona...).
Il s'agit surtout, finalement, de retrouver la Desdemona de Renée Fleming, dans un personnage qu'elle a fait sien au fur et à mesure des années, après l'avoir abordé crânement en 1994, remplaçant alors au pied levé, au Met et dans cette même production, Carol Vaness souffrante. Ce qui lui vaudrait, l'année suivante, d'obtenir le rôle pour la reprise du spectacle en ouverture de saison... Dix-sept ans ont passé au moment de cette dernière captation et la Fleming, qui en a cinquante-trois désormais, réussit le tour de force d'une interprétation vocale magistrale doublée d'une incarnation crédible et touchante. La femme n'a rien perdu de sa beauté, la voix, de sa volupté - mieux : la soprano évite ici les minauderies dont elle est parfois coutumière, déploie un instrument de bout en bout homogène et intense, aux raffinements de timbre et de souffle admirables, et l'actrice gagne en subtilité intérieure. Le Saule et la Prière sont un petit miracle de simplicité fervente.
On regrette alors que Johan Botha (Otello) ne joigne à son ténor vaillant et plutôt aisé une implication vraie dans son personnage ; sa neutralité dramatique fait plus d'une fois retomber la tension. Face à lui, le wagnérien Falk Struckmann impose au contraire un Jago personnel et impressionnant : d'autant plus inquiétant qu'il est élégant et hautain, loin des clichés de veulerie habituels. Sa prestance autoritaire profère des clameurs magistrales (« E vecchia fola il Ciel », tenu avec morgue à la face du public, le scotche et le fait exulter) autant qu'elle feule des murmures de serpent, tous superbement soutenus et jamais histrionisés.
Si le Maure de nos rêves fait défaut, cet Otello constitue néanmoins un document attachant et, par moments, véritablement enthousiasmant.
C.C.