CD Ondine ODE 1249 -2. Distr. Outhere.
L'opéra inachevé de Rachmaninov d'après la pièce de Maeterlinck, entrepris en 1908 et abandonné pour cause de droits déjà cédés par l'écrivain au compositeur Henri Février, en était resté à trois scènes du Ier acte écrites pour chant et piano, totalisant environ 40 minutes de musique. Une première orchestration, effectuée aux Etats-Unis par Igor Buketoff en 1984, avait donné lieu à un enregistrement sous sa direction, chanté en anglais (Chandos). Depuis, une autre version a été réalisée en Russie par Guennadi Belov en 2008, celle présentée ici.
Le drame de Maeterlinck se situe en Italie au Moyen-Age et met en scène Guido Colonna, commandant militaire de Pise, ville assiégée par les troupes du général florentin Prinzivalle qui avait été autrefois amoureux de Monna Vanna, l'épouse de Guido. Marco, le père de celui-ci, envoyé à Florence comme négociateur, rapporte à son fils la proposition de Prinzivalle, qui serait prêt à lever le siège à condition que Monna Vanna se rende chez lui pour une nuit, vêtue seulement d'une mantille... Guido, après tergiversations, est prêt à accepter, car Monna Vanna pourrait alors assassiner Prinzivalle. Mais elle ne semble pas l'entendre de cette oreille...
On peut regretter que, du fait de l'inachèvement, le rôle-titre féminin soit réduit pour l'essentiel à de brèves répliques. Deux personnages se partagent l'essentiel du discours : Guido, un baryton viril, et Marco, vieillard curieusement doté d'une voix de ténor ; deux rôles secondaires interviennent dans la première scène, les lieutenants Borso (ténor) et Torello (basse). L‘écriture vocale tient constamment du récitatif mélodique tendant vers l'arioso, avec ce sens du flot mélodique qui ne fait jamais défaut à Rachmaninov. Admettons toutefois que, dans la grande scène entre le père et le fils, l'on ressent parfois un flottement - c'est dans la scène suivante, entre Guido et Monna Vanna, que l'on retrouve le plus pleinement le grand Rachmaninov.
La comparaison des deux orchestrations ne dégage pas d'évidence en faveur de l'une ou de l'autre : celle de Buketoff est globalement plus opulente, avec des trouvailles de qualité mais donnant trop l'impression de penser l'œuvre comme une symphonie avec voix ; celle de Belov est plus contrastée, respectant mieux la primauté des voix, avec des subtilités appréciables, ne manque pas d'éclat dans les moments intenses mais reste, dans d'autres cas, un peu neutralement fonctionnelle. Question direction, je donne sans hésiter la préférence à Ashkenazy, qui imprime un meilleur tempo dynamique à l'action tandis que Buketoff a tendance à étirer les épisodes les plus lents. Pour ce qui est des voix, le choix d'Ashkenazy de confier les rôles à des solistes de la classe d'opéra du Conservatoire de Moscou (suivant l'exemple de Tchaïkovski pour Eugène Onéguine) est une belle idée en soi, mais force est de reconnaître que le Guido un peu instable d'Avtomonov supporte mal la comparaison avec le somptueux timbre de Sherril Milnes chez Buketoff. En revanche, chez ce dernier, le ténor un peu trop ouvert de Seth McCoy (Marco) laisse clairement la prime à l'émission ici aisée et naturelle de Dmitri Ivanchev. Quant à l'orchestre, on remarque de petits problèmes de justesse des cordes...
Au final, la version de Buketoff n'est certainement pas à oublier et est sans doute plus achevée techniquement, mais celle de Belov/Ashkenazy reste honorable et présente surtout l'avantage indiscutable d'être chantée en langue originale. En supplément, alors que Chandos offrait le 4e concerto pour piano de Rachmaninov par William Black, Ondine opte pour un choix de mélodies, parmi lesquelles la célèbre Vocalise, par la soprano Soile Isokoski, aussi somptueuse qu‘émouvante, avec Ashkenazy au piano, accompagnateur inspiré et attentif.
A.L.